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modernes, souvenir bien vague de leur pays et de leur temps. Ne sentez-vous pas tout ce que M. Bartholdi aurait trouvé d’invention, de clarté, de grandeur, dans une acceptation franche et hardie de la simple réalité ? Tout ce qu’il a dépensé de savoir et de vigueur dans l’exécution de cette œuvre énorme n’en peut sauver le défaut capital, qui est l’absence de signification évidente et précise.

On éprouve, si je ne me trompe, des impressions du même genre, c’est-à-dire peu satisfaisantes, devant un certain nombre d’autres monumens commémoratifs conçus dans la même donnée, où l’association factice des figures réelles et des figures allégoriques semble plutôt opérée par l’application d’une formule scolaire que par la vision personnelle d’une imagination exaltée et convaincue. Dans le monument qu’on doit élever à Sedan A la mémoire des soldats morts pour la patrie, M. Croisy, qui connaît à merveille son troupier, a posé sur le devant un fantassin, décoiffé et blessé, qui glisse et va tomber, s’appuyant d’une main sur son fusil, de l’autre sur un canon ébréché. La figure est excellente, assez belle et grande, parce qu’elle est vraie, vivante, comprise, ressentie. En est-il de même de la Gloire ailée, au visage court et camus, de physionomie vulgaire, qui plane derrière le pauvre diable pour lui poser sur le front une couronne qu’il ne voit ni ne sent venir ? C’est un souvenir du Gloria Victis, mais, dans le Gloria Victis, les deux figures, celle de la déesse et celle du soldat, étaient également idéales, et M. Mercié n’avait pensé qu’à exprimer une pensée éternelle, non à fixer la mémoire d’événemens particuliers. Ce n’est pas certainement sous cette apparence archéologique que nos petits soldats, vainqueurs ou vaincus, voient apparaître la gloire encourageante ou consolatrice, si tant est qu’ils y pensent. Dans le Rêve qu’il leur donne, M. Detaille a vu plus juste en faisant défiler, au-dessus d’eux, les vieux chefs des armées, leurs prédécesseurs en courage et en dévouement. Ce qui est vrai pour des représentations contemporaines est vrai pour des représentations rétrospectives. Si M. Theunissen, nous montrant la Ville de Saint-Quentin protégeant la France contre l’invasion espagnole en 1557, avait donné à ses deux figures un caractère local et historique mieux déterminé par un respect plus attentif des types et des costumes, croit-il qu’il aurait nui à l’effet de son monument ? Il eût d’autant mieux réussi que nous le savons, par ses œuvres antérieures, un interprète assez puissant et sensible de la réalité. Et n’est-ce pas aux artistes provinciaux à donner l’exemple de cette décentralisation si nécessaire, dont tout le monde parle et que l’on