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les engage à dire. Nous ne voyons pas ce qu’ils auraient à gagner à devenir des théoriciens plus exclusifs ou des érudits plus systématiques, à s’enfermer, de parti pris, comme l’y pousseraient volontiers tour à tour des amis convaincus, d’opinions diverses, mais également formalistes, dans la gêne étroite d’un réalisme opiniâtre, ou dans la vague ivresse d’un idéalisme conventionnel. La noblesse des images de Chartres et de Reims, la sincérité des effigies de Saint-Denis, l’élégance des déesses d’Anet et de Fontainebleau, la vigueur pompeuse des héros de Versailles ou des athlètes de Marseille, la grâce aimable des nymphes de Trianon, tout cela, c’est également notre patrimoine, et nous ne saurions vouloir y renoncer, même en partie, sans nous amoindrir et nous affaiblir. On aura beau dire et beau faire, l’âme d’un artiste français sera toujours une âme éclectique, mobile et souple comme l’âme même de la nation. N’est-ce pas, en vérité, à cette facilité d’évolution, toujours accompagnée d’un goût attentif et d’une science loyale, que nos sculpteurs français, depuis la Renaissance, doivent d’avoir échappé à la contagion des décadences environnantes ? Laissons-les donc libres de prendre avis et conseil où ils voudront, efforçons-nous, seulement, de les occuper ; c’est là la grande affaire.

Combien l’idée d’une destination précise, d’un effet déterminé, combien l’obligation de satisfaire à un bon programme ou d’étudier seulement une figure intéressante donnent de force et de ressort à un sculpteur ! Les œuvres de MM. Falguiére, Mereié, Paul Dubois, Frémiet, Marqueste, Verlet et bien d’autres, à un degré moindre, en sont des preuves frappantes. Parmi les nombreuses statues historiques qui se dressent sur les gazons des Champs-Elysées, le Henri de La Rochejaquelein par M. Falguiére, est celle dont on se souviendra le plus longtemps. Ce n’est qu’un plâtre, à peine complet, resté à l’état d’ébauche en quelques parties, mais si vivant, si expressif, d’une allure à la fois si décidée et si simple, si martiale et si douce, qu’on en reste tout ému et charmé. Ah ! certes, oui, il les devait entraîner aisément, les bons paysans de Vendée, croyans et naïfs, ce beau et svelte jeune homme à tête d’ange, dont le profil extatique et énergique rappelle, sous son haut feutre à larges bords, celui des jeunes saints nimbés devant lesquels on s’agenouille dans l’ombre des chapelles. Nulle convention, nul sacrifice pourtant de vérité, ni d’exactitude. Debout, chaussé de bottes molles, vêtu d’une longue redingote, coiffé de travers, une main sur la garde de son sabre, l’autre gantée et tenant l’autre gant, le gentilhomme insurgé se présente, au repos, dans la tenue la plus correcte. Au repos ?