Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/184

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir ce jeune artiste appliquer, le plus tôt possible, sa vigueur bourguignonne à quelque ouvrage plus significatif.

Le Christ au tombeau, qu’un artiste de Tours, M. Varenne, très au courant de l’art national du XVe siècle, a modelé, dans le goût simple et fort des vieux imagiers, reste, malgré cette imitation avouée, une œuvre personnelle, d’un caractère grave et d’une expression ressentie qui la distinguent suffisamment des figures environnantes. On regarde aussi, avec plaisir, les corps charmans d’une jeune Épave, que M. Akermann (de Stockholm) a trouvée sur la plage et d’une Madeleine jetée sur le sol par M. Barnhorn (des États-Unis) ; dans ces deux morceaux, l’exécution est attentive et délicate, mais, d’ailleurs, toute française. La remarque peut s’appliquer aux ouvrages de presque tous les étrangers, qu’on rencontre dans la section de sculpture ; l’influence directe et unique des maîtres français s’y marque plus profondément que dans les œuvres de peinture. Le fait s’explique à la fois et par l’absence d’écoles indigènes, dans la plupart des nations, et par la persistance d’une tradition séculaire qui a presque toujours assuré aux sculpteurs français, depuis le XIIIe siècle, sauf durant la période italianisante de la Renaissance, notamment au XVIIe et au XVIIIe siècle, une suprématie incontestée en Europe, surtout dans l’Europe septentrionale. Suprématie durable, fondée à la fois sur des qualités de tempérament spécial et sur un régime de forte éducation technique, et que toutes les expositions universelles n’ont cessé de mettre en lumière !

Quelques-unes des qualités traditionnelles de la sculpture française, soit cette franche vigueur de conception, et cette hardiesse simple d’expression qu’elle a héritées du moyen âge, soit cette intelligence de la beauté ou tout au moins de l’élégance plastique que le XVIe siècle lui a léguée, soit le goût du grand rythme et de l’équilibre décoratif qu’elle doit à l’enthousiasme laborieux des périodes classiques, se retrouvent, toujours, à des degrés divers, dans les œuvres exposées chaque année. Suivant son propre tempérament, chaque sculpteur, à l’occasion, demande un peu plus conseil aux maîtres académiques, ou aux maîtres primitifs ; la plupart, avec raison, se nourrissent à la fois de toutes ces traditions successives et combinées dont l’amalgame irréductible donne, en réalité, dans l’art comme dans la pensée, à notre âme française, mixte et multiple, internationale et universelle, sa puissance vivace d’expansion et de communication. C’est sans parti pris de pédantisme ni d’archéologie qu’ils cherchent simplement, en s’inspirant de la nature et de la vie, à exprimer, par les moyens techniques les plus complets, ce qu’ils ont envie de dire ou ce qu’on