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abjuration : elle se retrouva debout, écoutée, sinon crue, objet de curiosité bien plus que d’aversion, à la tête d’un groupe et prêchant toujours !

Désormais elle a passé, — c’est elle qui nous le dit, — de l’orage à la paix. Ardemment, comme elle avait été chrétienne, comme elle avait été athée, elle est théosophe, ou, si vous voulez, bouddhiste ésotérique. Ce n’est point ici le lieu d’examiner jusqu’à quel point ceux qui se disent bouddhistes ésotériques sont renseignés sur le vrai boudhisme. Le titre même dont ils veulent se parer est bien près d’être un contresens, et l’adjectif y jure avec son substantif. S’il est vrai que presque toutes les religions de l’Inde ont toujours eu, en effet, des parties restées secrètes, le boudhisme, dans sa pureté primitive, faisait pourtant exception, et rien ne semble moins ésotérique que la façon dont cette religion ou plutôt cette discipline morale et monacale fut enseignée et répandue. Elle était un guide vers la paix de l’âme, une doctrine dont le caractère essentiel paraît avoir été de pouvoir se prêcher à tous. L’objection a frappé l’un des écrivains de la petite église théosophique, M. Sinnett, et il prend beaucoup de peine pour expliquer que son bouddhisme, — écrivez avec deux d, s’il vous plaît, — doctrine des saints, des grandes âmes, des mahatmas, n’a presque rien de commun avec celui de Çakya-Mouni, lequel selon lui ne doit prendre qu’un seul cl. Je me suis conformé aux exigences orthographiques de cet auteur pour éviter une confusion que pour d’autres motifs que les siens je trouverais regrettable : est-il permis maintenant d’ajouter que, si quelques positivistes européens en mal de mysticisme ont adopté une étiquette qu’ils savaient fausse, c’est surtout parce que l’athéisme fondamental de la doctrine du Boudha s’accordait avec leurs propres désirs ? Etablir une religion qui paraît, au moins superficiellement, une véritable religion, avec une cosmogonie, une définition de la nature de l’homme et de sa fin, des révélations mystérieuses, une morale, et qui pourtant se passât d’un Dieu personnel, telle est l’œuvre difficile que Mme  Blavatski et ses amis ont voulu accomplir. Il est donc assez naturel qu’ils se soient sentis en sympathie avec le boudhisme, né, lui aussi, d’un très ancien naufrage métaphysique. Et puis l’étiquette était connue, ce qui est bien quelque chose. Mais ce n’est nullement à la littérature boudhiste, dont le style, dit Barth, « est le plus affreux et le plus insupportable de tous les styles, » c’est, avec un bel éclectisme, aux anciens upanishads, à des traités philosophiques plus modernes, à une encyclopédie thibétaine, à toutes les religions de l’Inde en somme, çivaïsme, vishnouïsme, krishnaïsme, etc., que Mme  Blavatski a fait des emprunts. Elle ne s’en est pas tenue à l’Inde :