Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 130.djvu/156

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prix de son sang l’universel sauveur. Comme il est mort pour nous, on brûle de mourir pour lui, comme il est Dieu, il couvre la terre de miracles, comme il est homme, il parle à tous les cœurs purs. Sainte Agnès l’a vu, le fiancé céleste, et des anges qu’il envoya, à sainte Cécile la musicienne murmurèrent les chants faits par lui. Il est si impossible de ne pas l’aimer, si triste de ne pouvoir tout de suite mourir pour lui ! Ce fut un jour de délices que celui de la confirmation, dont les douces cérémonies, dans l’Église anglicane, sont très semblables à celles que connaissent les catholiques de France : on renouvelle les vœux du baptême, on renonce à Satan, à ses pompes et à ses œuvres, on est comme un petit oiseau blanc, tout frissonnant d’attente, et le léger soufflet de l’évêque vous semble le vent des ailes de la colombe céleste.

C’est à Paris qu’eut lieu cette confirmation. On était en 1862, Annie avait alors quinze ans. Elle vit passer dans les Champs-Elysées l’empereur Napoléon III, alors à l’apogée de sa fortune ; elle connut la grande ville au moment où elle s’affolait de fêtes, et cependant elle ne vit rien de plus beau que les églises catholiques. Toute leur gloire sensuelle pénétra dans son âme. Il y a à Saint-Germain-l’Auxerrois un vitrail dont elle parle avec des mots plus chauds et plus colorés que ce verre pourtant brûlant ; et le Louvre, en face, était une autre église peuplée de saintes et de madones. Elle les reconnut : c’étaient les portraits de ses visions.

Dans cet air voluptueux, le froid évangélisme qu’elle n’avait jamais d’ailleurs, elle l’avoue, complètement assimilé, fondit comme une neige. Peu inquiète de développement moral, de scrupules de conscience, pleine d’un mysticisme complexe, esthétique, sensuel, érudit — dont la peinture fait de sa biographie un livre utile à consulter pour celui qui voudra étudier l’état de l’âme moderne en face du problème religieux — elle aperçut tout à coup la beauté propre du catholicisme, ce qui le rend supérieur à un déisme quelconque ou à un froid appareil de morale tiré d’un livre révélé. Elle vit qu’il était une œuvre d’art, et un système. Il ne s’agissait pas cependant du catholicisme romain, avec sa forte et harmonieuse hiérarchie terrestre, mais de celui qu’ont retrouvé les docteurs de la haute Église anglicane, et qui, restant plus purement spirituel, paraît plus archaïque et plus poétique peut-être. Bâtie sur les fondations des apôtres et des martyrs, faite des matériaux qu’accumulèrent et polirent les Pères, Clément, Jérôme, Chrysostome, Hermas, Ignace, Augustin, « vieille parce qu’elle est éternelle, immuable parce qu’elle est vraie, » légère et solide elle monte, des jours de Jésus à nos jours. Ainsi