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intérieure n’arrivait pas à rendre cette finesse divine. On aurait dit qu’une diffusion d’or et d’ambre impalpables enrichissait les tissus en les diaprant d’une variété de pâleurs aussi harmonieuse qu’une musique

George repensa au mot d’Othello : « Je préférerais être un crapaud et me nourrir des miasmes d’un antre ténébreux, plutôt que de laisser à l’usage d’autrui un seul point de la créature que j’aime ! « 

Dans son sommeil, Hippolyte fit un mouvement, avec un air de vague souffrance qui disparut aussitôt. Elle renversa la tête en arrière sur l’oreiller, ce qui montra sa gorge tendue où se dessinait le léger réseau des artères. Elle avait la mâchoire inférieure un peu forte, le menton un peu long de profil, les narines larges. Dans le raccourci, les défauts de cette tête s’accentuèrent ; mais ils ne déplurent pas à George, parce qu’il lui aurait été impossible d’imaginer qu’on les corrigeât sans ôter à la physionomie un élément de vivante expression. L’expression, — cette chose immatérielle qui s’irradie dans la matière, cette force changeante et non mesurable qui envahit le masque corporel et le transfigure, cette âme externe significative qui superpose à la réalité précise des lignes une beauté symbolique d’un ordre beaucoup plus élevé et plus complexe — l’expression était le grand charme d’Hippolyte Sanzio, parce qu’elle offrait au penseur passionné un motif continuel d’émotions et de rêves.

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Hippolyte s’était mariée au printemps qui avait précédé celui de leur amour. Quelques semaines après les noces, elle avait commencé à souffrir d’une maladie lente et cruelle, qui l’avait clouée au lit et tenue pendant de longs jours entre la vie et la mort. Mais, par bonheur, cette maladie lui avait épargné tout nouveau contact avec l’homme odieux qui s’était emparé d’elle comme d’une proie inerte. Au sortir de sa longue convalescence, elle était entrée dans la passion comme dans un rêve ; subitement, aveuglément, éperdument, elle s’était abandonnée au jeune homme inconnu dont la voix étrange et douce lui avait adressé des paroles jamais entendues. Et elle n’avait pas menti en lui disant : « Tu me prends vierge : je ne connais aucune volupté. » Tous les épisodes de ce début d’amour revinrent à la mémoire de George, un à un, très nets. Il reconstitua en pensée les sentimens extraordinaires et les sensations extraordinaires de ce temps-là. C’était le 2 avril qu’Hippolyte l’avait connu à l’oratoire, et c’était le 10 avril qu’elle avait consenti à venir chez lui. Oh ! le jour inoubliable !

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