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— N’es-tu point la meilleure chanteuse de San-Vito ?

— Non, seigneur. Ce n’est pas vrai.

— C’est vrai, c’est vrai ! s’écrièrent toutes ses compagnes. Fais-la chanter, seigneur.

— Non, seigneur. Je ne sais pas chanter.

Elle s’en défendait, riant, le feu au visage ; et, tandis que ses compagnes insistaient, elle tordait son tablier. Elle était de petite taille, mais elle avait les formes bien prises, la poitrine large et florissante, développée par les chansons. Elle avait les cheveux frisés, les sourcils épais, le nez aquilin, un port de tête un peu sauvage.

Après quelques refus, elle consentit. Ses compagnes, s’enlaçant par les bras, l’emprisonnèrent dans leur cercle. Elles émergeaient des touffes fleuries à partir de la taille, dans le bourdonnement des abeilles diligentes.

Favette commença, d’abord sans assurance ; puis, de note en note, sa voix se raffermit. C’était une voix limpide, fluide, cristalline comme une source. Elle chantait un distique, et ses compagnes reprenaient le refrain en chœur. Elles prolongeaient les notes finales à l’unisson, les bouches rapprochées pour ne faire qu’un flot vocal ; et ce flot ondulait dans la lumière, avec la lenteur des cadences liturgiques.

Favette chantait :

Toutes les fontaines se sont séchées.
Mon pauvre amour meurt de soif.
Tromme lari, lira…
Vive l’Amour !
Amour, j’ai soif, oh ! j’ai soif.
Où est l’eau que tu m’apportes ?
Tromme lari, lira…
Vive l’Amour !
Je t’apporte une jatte d’argile
Suspendue à une chaîne d’or.
Tromme lari, lira…
Vive l’Amour !

Et les compagnes répétaient :

Vive l’Amour !

Cette salutation de mai à l’amour, jaillissant de ces poitrines qui peut-être ne le connaissaient pas encore, qui peut-être n’en devaient connaître jamais la véritable tristesse, résonna aux oreilles de George comme un augure. Les filles, les fleurs, le bois, la mer, toutes ces choses libres et inconscientes qui respiraient autour de lui la volupté de la vie, tout cela lui caressait la surface de l’âme, étouffait, endormait en lui le sentiment habituel qu’il avait de son