dialogue se poursuit une minute. Elle apprend que je suis écrivain. Le souvenir de sa réputation littéraire, de ses articles, de ses conférences, du Woodhull and Claflin Weekhy, plaident sans doute, auprès de lady Cook, en faveur des deux inconnus ; elle a le bon goût de ne pas même s’informer si je suis partisan de l’émancipation : elle nous invite à visiter le palais. Par le couloir de style oriental, orné de colonnes de marbres rares, de statues, et d’une fontaine au milieu, nous pénétrons dans une série de salons qui sont plutôt des musées que des appartemens de réception. Les vieux japon, les vieux chine abondent, non pas les modèles de bazar, mais des pièces de toute beauté, d’un rose ou d’un vert tendre à désespérer les porcelainiers de Sèvres. L’Inde, la Perse, l’Asie Mineure, l’Afrique, sont représentées par des meubles, des stores, des tentures, des idoles dorées, des armes, des ivoires, des vases émaillés de la grande époque arabe, de ceux dont le vernis enferme, dans sa transparence nacrée, tous les reflets de l’arc-en-ciel. Un contraste drôle : devant les cheminées, qui sont aussi des œuvres d’art, et dans chacune des pièces, on avait disposé un rang de potirons et de courges, qui achevaient de mûrir à l’abri.
L’aimable propriétaire de Monserrat, malgré le soleil, malgré une promenade projetée, veut encore nous montrer une vallée de son domaine. « Vous allez voir mes fougères ! » nous dit-elle. Nous repassons près des lianes fleuries, nous tournons à droite. J’entends des coups de pioche. Sous bois, au bord d’une cascade embarrassée de feuillages, nous saluons M. Cook, vieil Anglais à barbe blanche, qui surveille la transplantation d’une fougère arborescente haute de cinq ou six mètres et grosse comme un mât de navire. Il est coiffé du large panama des planteurs. Il nous indique la meilleure route à suivre pour voir le plus beau coin du parc. Alors, ayant pris congé de nos hôtes, nous descendons seuls, les pieds dans les lacis de lierre et les touffes de pervenches, sous la voûte découpée à jour des fougères qui emplissent le ravin. Des palmiers, des cocotiers, des caoutchoucs, des poivriers leur font suite. Ils forment une épaisse forêt. Des racines barrent les sentiers; des troncs morts de vieillesse ou brisés par le vent, couchés sur des fourrés verts, dorment leur sommeil sans plus toucher la terre qu’au jour des premières sèves. C’est la forêt vierge, un jardin sauvage tel que je n’en ai pas vu d’autre. Pendant une heure j’ai vécu au Brésil, j’ai cherché les aras à huppe d’or au sommet des lianes, pensé aux tigres, écouté les sources et bu les lourds parfums, pétris de vie et de soleil, qui grisent comme du Champagne.