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tantôt avec ceux-là, sur tous les points du globe. On a dit que notre extension coloniale avait pris de trop grands développemens, et nous ne contestons pas qu’elle ait été souvent conduite de la manière la plus inconsidérée : elle n’en a pas moins donné au monde un peu surpris une preuve nouvelle de notre inépuisable vitalité. En nous voyant sur tant de points à la fois, on s’est habitué à compter partout avec nous. Si nous n’étions pas allés en Indo-Chine, en Tunisie, au Congo, nous aurions économisé sans doute des milliers d’hommes et des millions d’argent : en serions-nous plus puissans ? Nous n’aurions pas été amenés à prendre parti entre la Chine et le Japon, et à apporter à la Russie notre concours dans ces mers lointaines : notre prestige en serait-il augmenté ? Nos alliances en seraient-elles plus solides ? Aurions-nous recouvré déjà nos provinces perdues, ou serions-nous plus près de le faire ? Ce sont les questions qui ont été agitées le 10 juin devant la Chambre, et on a bientôt distingué les deux politiques contraires qui s’en dégageaient. Il fallait choisir : le gouvernement avait fait son choix, la Chambre l’a ratifié.

Déjà, au Sénat, une interpellation sur le même sujet avait été développée par M. de l’Angle-Beaumanoir, mais le débat n’avait pas pris un aussi large développement. L’attitude de la Chambre haute avait été glaciale pour l’interpellateur, très bienveillante pour M. le ministre des affaires étrangères, auquel personne n’avait répliqué. Cette première épreuve aurait dû servir de leçon aux socialistes de la Chambre des députés. M. Millerand n’avait évidemment pas prévu qu’en portant à la tribune des questions que la presse avait agitées, depuis quelques semaines, avec une violence sans mesure, il allait donner au ministère l’occasion d’obtenir le plus brillant de ses succès. M. Goblet, plus circonspect, a répété plusieurs fois qu’il n’aurait pas pris l’initiative d’ouvrir un pareil débat ; mais, puisque d’autres l’avaient ouvert, il s’y est jeté avec toute l’ardeur de son caractère et la vivacité de sa parole. L’interpellation a donc appartenu aux socialistes et aux radicaux avancés, et c’est sur eux que retombe de tout son poids le vote de la Chambre. Il est bon qu’on sache au dehors, et surtout à Saint-Pétersbourg, qu’une majorité de 345 voix contre 102 a résolument approuvé la conduite du gouvernement. Une fois de plus la politique extérieure, peut-être parce que le nom de la Russie y a été heureusement môle, s’est trouvée être ce qui nous divisait le moins.


Francis Charmes.


Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.