Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/962

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

autre, et fait pressentir un contre-projet, l’opinion en Angleterre se montre de plus en plus excitée. Une crise ministérielle vient de se produire à Constantinople : elle a appelé au gouvernement un autre grand vizir et un autre ministre des affaires étrangères, qui ont la réputation d’être des hommes éclairés. Il faut souhaiter que leur premier acte soit de mettre fin à une situation qui ne saurait se prolonger sans péril.

On nous pardonnera cette digression sur l’Arménie : elle a pour objet, tout en indiquant l’état actuel de la question, de montrer que notre politique, sur ce point comme sur les autres, a été conforme à tous les précédens. Quand même nous n’aurions pas été les alliés de la Russie, nous aurions dû faire encore ce que nous avons fait, au (nom de l’intérêt que nous avons au maintien de la paix en Orient, comme en Extrême Orient. À toutes les accusations qui ont été dirigées contre eux, MM. Ribot et Hanotaux ont eu le droit de répondre que notre politique, loin d’être contradictoire et incohérente, frappait les esprits non prévenus par son caractère de continuité. Pendant longtemps on a reproché à la démocratie, et au gouvernement qui en est issu, d’être trop mobiles l’un et l’autre, trop incertains du lendemain, trop menacés par les hasards d’une vie électorale et parlementaire où tout est remis sans cesse en question, pour avoir une politique étrangère digne de ce nom, c’est-à-dire conforme à des principes fixes et capable par là d’inspirer confiance, soit au dedans, soit au dehors. De même que le philosophe antique démontrait le mouvement en marchant, la République a prouvé qu’elle pouvait avoir une politique extérieure en concluant des alliances et en y restant fidèle. À ce point de vue, la séance du 10 juin a été heureuse. Si les interpellateurs l’avaient emporté, si le ministère avait été renversé, tous ces reproches auraient été justifiés du même coup. Le désaveu infligé au gouvernement aurait jeté l’inquiétude dans l’esprit de nos amis au dehors et relâché sans doute les liens qui les attachent à nous. L’avenir, même le plus rapproché, aurait paru compromis. La Chambre s’en est rendu compte, et elle a donné au gouvernement la majorité la plus considérable qu’il ait eue jusqu’à ce jour. Certes, le succès a été grand ; nous l’aurions désiré plus grand encore. Il est regrettable qu’une partie de la droite, obéissant à un sentiment dont il est difficile de se rendre compte, ait cru pouvoir voter l’ordre du jour pur et simple. Cet ordre du jour est celui des gens qui ne veulent se compromettre ni dans un sens ni dans l’autre, et il est des circonstances où le patriotisme impose le devoir de prendre parti. Quand le gouvernement déclarait avec éloquence qu’il avait besoin, pour sa considération et sa force au-delà des frontières, d’être entouré de l’adhésion de la Chambre, il fallait lui accorder cette adhésion pleine et entière, ou la lui refuser non moins résolument. Un ordre du jour de confiance et ; un ordre du jour de blâme avaient leur raison d’être ; l’ordre du jour pur et simple, seul, ne s’expliquait pas. Au reste, la majorité,