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l’alliance russe, a parlé à plusieurs reprises de l’alliance allemande dont l’évidence le frappait et l’indignait. Il n’y a pas d’alliance allemande : il ne peut pas y en avoir : mais, sur plus d’un point du monde, il y a eu déjà rencontre d’intérêts, et alors quelle a été notre attitude constante ? Nous avons traité avec le gouvernement impérial avec une loyauté réciproque, et nous nous en sommes bien trouvés l’un et l’autre. En Afrique en particulier, un assez grand nombre de questions ont été ainsi résolues. Pourquoi n’aurions-nous pas voulu avoir de rapports avec l’Allemagne en Asie orientale, après en avoir eu dans un autre continent ? C’est là ce qui aurait été une politique nouvelle, imprévue, toute différente de celle que nous avons suivie jusqu’à ce jour. Aurions-nous la prétention que, dans les plus graves affaires, notre intimité avec la Russie fût nécessairement exclusive de toute autre ? Cette jalousie un peu ridicule serait bien gênante pour la puissance qui en serait l’objet. En tout cas, elle serait toute neuve et peu conforme aux précédens que nous avons créés nous-mêmes, puisque, au retour de Cronstadt, nous sommes allés à Plymouth. La Russie a été bien loin d’en être choquée, et ce souvenir peut moins que jamais lui déplaire aujourd’hui que, toujours d’accord avec elle, nous venons de concerter nos efforts avec l’Angleterre dans la question d’Arménie.

On a parlé de cette question au cours de la récente interpellation, sans y appuyer beaucoup parce que les faits sont encore mal connus, mais de manière à laisser croire que là encore nous avions rendu service aux autres, — à qui ? on ne le sait pas très bien : est-ce à la Russie ? est-ce à l’Angleterre ? — sans songer suffisamment à nos propres intérêts. Si nous avons rendu service à quelqu’un, c’est à la Porte, que nous aidons à se tirer d’un mauvais pas. Il est vrai que, comme toujours, la Porte aide assez mal ceux qui l’aident, et qu’elle montre un médiocre empressement à suivre les conseils les plus désintéressés. Au surplus, que s’est-il passé ? On n’est pas bien d’accord sur le point de savoir s’il y a une Arménie, mais certainement il y a des Arméniens qui sont dispersés sur tous les points du monde, et ont des comités un peu partout, notamment en Angleterre. Rien n’est plus dangereux, à notre avis, que de donner trop d’encouragemens à une cause qu’on n’est pas décidé, ni peut-être en mesure, de soutenir d’une manière effective, et c’est ce qui a eu lieu quelquefois pour la cause arménienne. Il en est résulté, comme toujours, des révoltes partielles et impuissantes, qui ont été étouffées dans le sang. Le bruit s’est répandu que des actes barbares avaient été commis, et bientôt on a parlé en Angleterre des atrocités arméniennes comme on y parlait autrefois des atrocités bulgares. Les imprécations les plus éloquentes sortaient d’ailleurs de la même bouche. Mais, si les réfugiés au dehors étaient pathétiques dans leurs récits, à mesure qu’on se rapprochait des points où les exécutions avaient eu lieu, il était plus difficile de se rendre compte