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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 juin

L’incident le plus intéressant pour nous de la quinzaine qui vient de s’écouler est la discussion qui a eu lieu, le 10 juin, à la Chambre des députés, sur notre politique extérieure. Non pas que la discussion en elle-même ait soulevé beaucoup de passions, ni qu’elle ait amené dans les divers groupes parlementaires le moindre changement, mais parce qu’elle a permis au gouvernement d’apporter à la tribune certaines déclarations qui ne s’étaient pas encore produites avec autant de netteté. Il faut, ici, laisser de côté les questions subsidiaires. Plusieurs de ces questions ont été agitées : l’opposition espérait même en tirer grand profil. Le voyage à Kiel a été un acte de raison ; mais, comme on l’a dit, la raison n’agit que sur les gens raisonnables : en s’adressant aux autres, on pouvait croire qu’on trouverait encore une assez belle clientèle. Notre intervention en Extrême-Orient répond à des intérêts purement politiques, et ces intérêts ne sont pas de ceux qui frappent tous les esprits avec la clarté de l’évidence. À ces objections de détail le gouvernement a répondu en affirmant que nous avions une politique générale, celle de « l’alliance russe ». C’est pour la première fois qu’un mot aussi expressif était prononcé avec une pareille autorité. Tout le monde savait que, depuis quelques années, un rapprochement étroit s’était opéré entre la France et la Russie, qu’une entente s’était établie entre les deux puissances, qu’il y avait entre elles accord politique, et le fait s’était manifesté aux yeux du monde avec un éclat calculé qui ne laissait prise à aucun doute. Mais quel était le caractère véritable de cet accord, de cette entente, de ce rapprochement, et de quel nom fallait-il le qualifier en langage diplomatique ? Personne ne le savait au juste. En se servant du mot d’ « alliance », M. le ministre des affaires étrangères et M. le président du Conseil ont franchi un pas décisif. Et on ne peut pas dire que le mot ait échappé à l’improvisation, puisque M. le ministre des affaires étrangères ne se cachait pas d’avoir préparé son discours et d’en avoir écrit les parties principales. Il a lu d’ailleurs un télégramme adressé par lui, depuis plusieurs semaines, à notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, où il déclare, au sujet du conflit