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pensez-vous qu’il fasse ? Il lui mesure le crâne. La physiologie et ses théories les plus récentes sont mises à contribution. Voici le petit discours que s’adresse un moribond, parlant à sa personne : « Déjà tes cellules sont prises d’assaut, déjà fourmillent les parasites victorieux, déjà tout est renversé au profit des myriades d’infiniment petits. L’hypothèque est prise. Chaque goutte de sang acquitte le tribut aux vainqueurs atomiques. » Les personnes qui ont le goût plus que l’habitude de la science ont une tendance à en prendre les formules pour des explications, et se complaisent au mystérieux de sa terminologie. Voici la loi de la « réaction égale à l’action », le droit du « soi parce que c’est soi », la philosophie de l’erreur, le jeu des probabilités, la règle de la moindre chance. Elles se réjouissent à constater telles analogies lointaines qui échappent au regard des ignorans. Un morceau de pain n’est pour nous qu’un morceau de pain. Regardez-y de plus près. Vous apercevrez : « des pertuis de petites fossettes ovalaires, des abîmes irréguliers, un tunnel, une caverne en dôme, aux murailles d’ivoire, où parfois se profile une stalactite capillaire. C’est tout le travail d’un monde, un système de cavités opéré par l’expansion vigoureuse du gaz intérieur, alors que la pâte était molle encore, une origine analogue à celle de notre croûte terrestre en somme. » Que de choses dans une bouchée de pain ! Il n’y en a pas moins dans une tasse de café. « Penché sur sa tasse, il examine la giration des globules, leur ramassement en nébuleuses et les accélérations de vitesse des aérolithes accourant vers les centres. » C’est le triomphe de la leçon de choses.

C’est du même point de vue que M. Rosny envisage les questions sociales : droit naturel, division du travail, répartition des richesses, héritage, famille, malthusisme, population, dépopulation et repopulation. La science enfin lui présente la question de l’adultère sous un aspect qui, pour n’être pas l’aspect sentimental et passionnel où se confinent d’ordinaire les romanciers, n’en a que plus de chances d’être le véritable aspect. Ce que nous appelons adultère, amour coupable ou tout simplement amour, ce n’est en fin de compte que « l’indomptable instinct qui veut un renouvellement de la sélection. » Partant de ce principe, un mari en train de tromper sa femme se posera ainsi le problème de son innocence ou de sa culpabilité : « Où est le crime de chercher ce que la nature a si âprement voulu, d’obéir à l’irrésistible, magnifique et féconde polygamie ? » Et tourmenté malgré tout du vieux préjugé qui fait que l’époux infidèle n’aime pas à être payé de réciprocité, il examinera sa femme avec l’inquiétude de découvrir chez elle, « le sens net, le sens violent de la polyandrie. » J’avoue que cela est un peu déplaisant et que ces mots sonnent mal à notre oreille. Mais c’est que nous n’avons ni l’habitude ni le goût de la vérité.

Ce culte de la science est chez M. Rosny essentiel et fondamental. C’est à quoi toutes ses théories se rattachent ou se subordonnent ; c’est