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avait été prononcé. Puis, relevant avec beaucoup de bonne grâce une allusion du ministre de France : « Vraiment, cela vous intéresserait de voir quelques-unes de nos pièces rares d’orfèvrerie? » Le roi quitte le salon de réception. Nous le suivons. Il traverse ses appartemens particuliers, arrive dans un grand cabinet de travail, et nous montre des aiguières ciselées, d’un très beau style, posées sur les tables, puis des manuscrits et des livres précieux de sa bibliothèque. Je remarque, sur des chevalets, plusieurs marines ébauchées, d’un impressionnisme très juste. Enfin, avant de nous congédier, pensant qu’il ferait plaisir à ce Français qui passe, le roi me permet de voir la célèbre argenterie de Germain, et ajoute en riant: « Si vous rencontrez quelqu’un, dites que c’est moi qui vous envoie. » Et c’est ainsi que j’ai pu étudier à loisir, sur trois dressoirs de la salle à manger du palais, les pièces d’orfèvrerie du plus pur Louis XV, qui n’ont pas, prétend-on, de rivales en Europe. La maison de Bragance possédait deux services du même maître, l’un pour le gras, l’autre pour le maigre. La branche brésilienne emporta celui-ci en Amérique, et l’autre partie de la vaisselle plate, ornée d’animaux, de pampres, de feuillages, d’une valeur inestimable, demeura la propriété de la maison de Portugal.

La cour est encore à Cascaes. C’est un petit village de pêcheurs, à l’embouchure du Tage, devenu, dans ces dernières années, une station balnéaire florissante et luxueuse. On voit encore, sur la plage, des barques longues, tirées à sec, d’autres qu’on repeint, d’autres qui arrivent du large, n’ayant qu’un mât, une voile en forme de croissant de lune et portant, sur la vergue cintrée, une demi-douzaine d’hommes à cheval, occupés à carguer la toile. Les rues voisines sont tout étroites, avec des maisons basses et des filets pendus à des clous. Le château royal n’est lui-même qu’un vieux fort, bâti sur une pointe, et transformé, tant bien que mal, en habitation. Les murs d’enceinte sont intacts. Une terrasse à créneaux, encore armée de canons, borde la rive de la petite anse, et sert de lieu de promenade et de récréation aux infans. Ses remparts tombent à pic sur une avenue plantée de palmiers et touchant la mer. On découvre de là le cours du Tage jusqu’à Lisbonne, et les montagnes bleues de Cintra dans les terres, et, vers l’occident, la mer libre.

Le grand deuil de la reine avait suspendu les audiences, et j’ai été reçu par une exception due à ma qualité de Français, et dont j’ai vu tout le prix lorsque j’ai été admis en présence de la souveraine. L’aimable comte de Sabugosa, grand-maître de la maison de la reine, me fit traverser une cour, une antichambre un grand