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Wissembourg, celle de Gœben à Saarbrück. Tous les jours des télégrammes annonçaient de nouveaux succès. Mais je ne puis suivre le général de Verdy dans l’énumération qu’il en fait, ni dans les considérations techniques où il entre à leur sujet. Aussi bien la série de ces Souvenirs paraît-elle devoir se prolonger dans la Deutsche Rundschau pendant de longs mois ; nous aurons, sans doute, l’occasion d’y revenir.

En contraste avec ces souvenirs d’un officier d’origine française, combattant contre la France, voici, dans la même Revue, les lettres et rapports d’un Allemand, Charles-Frédéric Reinhard, qui a passé toute sa vie au service de la France, et qui a même été quelque temps ministre à Paris, tout comme M. de Verdy l’a été à Berlin. On sait l’étrange aventure de ce poète wurtembergeois, ami de Schiller et de Goethe, qui, simplement pour s’être trouvé de passage en France aux premières années de la Révolution, est devenu tour à tour ministre des affaires étrangères sous le Directoire, ambassadeur sous l’Empire, conseiller d’État sous la Restauration, et pair de France sous la monarchie de Juillet. Mais les documens que publie M. Wilhelm Lang dans la Deutsche Rundschau éclairent d’un jour nouveau la figure de cet habile homme, dont le principal talent paraît avoir été de savoir en toute circonstance se créer des amis. Car, sans compter Schiller et Gœthe, on n’imagine pas combien de personnages importans l’ont honoré de leur amitié. En France comme en Allemagne, dans l’Europe entière, il était également lié avec les représentans de tous les partis, avec les classiques et les romantiques, avec les girondins et les jacobins, avec les plus zélés serviteurs et avec les ennemis les plus acharnés de Napoléon. Il avait une de ces âmes naturellement bienveillantes qui sont portées d’instinct à aimer tout le monde, sans négliger pour cela de s’aimer soi-même : c’est à celles-là que le monde réserve ses plus solides faveurs. Et ainsi Reinhard a pu, durant près d’un demi-siècle, dans un pays qui n’était pas le sien, servir fructueusement les régimes les plus opposés. Il les a servis d’ailleurs avec toute la conscience et toute la ponctualité d’un fonctionnaire parfait ; car il n’avait rien de l’intrigant, ni du traître, mais simplement il était né pour servir.

La partie la plus curieuse de l’étude de M. Lang est celle qui se rapporte au séjour de cinq ans que fit Reinhard à Cassel, de 1808 à 1813, en qualité d’ambassadeur de Napoléon auprès du roi de Westphalie, Jérôme Bonaparte. Ces cinq années sont sans doute la seule période difficile qu’ait eu à traverser Reinhard dans sa longue carrière de diplomate ; et vraiment tout autre que lui aurait été plus d’une fois tenté