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mon passage au ministère, n’ont fait que me confirmer dans mon idée d’alors. Toutes les formations nouvelles, toutes les questions de munitions, de renforts de siège, d’hôpitaux, de chemins de fer, et mille autres, ne peuvent être bien ordonnées que si l’on reste dans la capitale ; et l’influence personnelle du ministre est encore indispensable pour assurer la régularité de tous les services, tandis qu’il suffit de la présence, sur le terrain de la guerre, d’un officier supérieur délégué pour que le ministre soit averti en temps utile de tout ce qu’il lui importe de savoir. »

A peine arrivé à Mayence, M. de Verdy dut en repartir, chargé d’une mission assez délicate. On avait reçu, durant le trajet, un télégramme de l’armée du kronprinz informant l’état-major que l’attaque générale ne pourrait avoir lieu que lorsque toutes les divisions de l’armée se trouveraient en état. Ce délai n’avait pas été du goût de Moltke, qui avait chargé M. de Verdy de répondre au kronprinz par la dépêche suivante : « Sa Majesté tient pour indispensable que la troisième armée marche tout de suite vers le sud, sur la rive gauche du Rhin, découvre l’ennemi, et l’attaque. On empêchera ainsi la rupture des ponts au sud de Lauterburg, et l’Allemagne méridionale se trouvera couverte. — MOLTKE. »

« Je fis aussitôt remarquer au général quartier-maître, qui m’avait apporté ce projet de télégramme de la part du général de Moltke, qu’une rédaction aussi catégorique pouvait offrir bien des inconvéniens. J’avais eu assez l’occasion, dans nos campagnes précédentes, de connaître les chefs de la troisième armée pour être certain qu’ils seraient froissés d’un ordre exprimé en ces termes. Le général de Moltke, qui survint lui-même dans notre wagon sur ces entrefaites, parut frappé de mon argument : et nous décidâmes qu’au lieu de télégraphier au kronprinz, je Tirais aussitôt rejoindre à son camp, pour lui exposer la situation et lui faire part des avis de l’état-major. »

Après un voyage des plus accidentés, M. de Verdy parvint à Spire, où était le kronprinz. On résolut que l’armée passerait la frontière le surlendemain 4 août ; et M. de Verdy se hâta de revenir à Mayence, ne fût-ce que pour pouvoir dormir quelques heures, après trois nuits passées sans sommeil. Il trouva l’état-major tout en émoi. On venait d’apprendre que l’armée française avait passé la frontière et battu un détachement prussien à Saarbrück. Mais M. de Verdy était décidément d’un optimisme invincible : car son carnet porte, à la date du 3 août, cette simple mention : « La rencontre de Saarbrück tout à fait insignifiante, une escarmouche d’avant-postes comme il s’en présentera encore bien souvent. »

Et l’événement, on le sait, ne tarda pas à lui donner raison. Coup sur coup on apprit à Mayence la victoire du kronprinz à