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publié déjà dans la Deutsche Rundschau, il y a quelques années, le récit des négociations qui avaient précédé la capitulation de Sedan ; et l’on n’ignorait pas que le fameux livre du grand état-major sur la campagne de 1870 était, en grande partie, son ouvrage ; mais on n’en était que plus impatient de lire ses Souvenirs personnels, où l’on espérait trouver, avec les mêmes qualités d’exactitude scrupuleuse, un tour de style plus familier et des impressions plus intimes.

Je crains malheureusement que ce n’ait été là une espérance vaine. On sent bien que le général de Verdy fait de grands efforts pour être familier ; peut-être même en fait-il de trop grands, et apporte-t-il trop d’insistance, par exemple, à des détails de cuisine assez insignifians. Pas un moment il ne perd de vue le soin de son estomac. Il se montre encore tout ému, après vingt-cinq ans, au souvenir d’un dîner qu’il avait eu l’espoir de trouver préparé pour lui au château de Ferrières, et que le ministre de la guerre et sa suite avaient mangé sans l’attendre. Il se rappelle avec attendrissement l’inspiration miraculeuse qui lui a fait emporter dans son wagon, au départ de Berlin, quelques provisions de bouche : car toutes les gares, sur le parcours, étaient encombrées d’une foule si nombreuse, et si enthousiaste, que pas une fois il ne lui a été possible de se frayer un chemin jusqu’à un buffet.

Ce sont, comme l’on voit, des souvenirs bien personnels ; mais il s’en faut que le général de Verdy ait mis le même abandon aux autres parties de son récit. Ses portraits et ses jugemens, surtout, sont d’un ton si réservé qu’on se demande pourquoi il n’a point poussé la discrétion jusqu’à les supprimer tout à fait. À quoi bon faire défiler devant nous tant de figures diverses, depuis le vieux roi et son fils jusqu’aux employés de l’état-major, si l’on se borne invariablement, après les avoir nommées, à nous apprendre que chacune d’elles réunissait toutes les perfections imaginables ? Et non seulement ce ton d’admiration trop uniforme nous empêche de prendre au sérieux les jugemens que porte sur les hommes M. de Verdy, mais il nous met encore en défiance de sa sincérité sur les choses, et ses Souvenirs personnels y prennent on ne sait quelle apparence de relation officielle.

Ce qui ne les empêche point d’ailleurs de constituer, dans leur ensemble, un ouvrage historique d’un très vif intérêt : car s’ils ne nous renseignent guère sur les sentimens intimes du général de Verdy, ils nous font assister en revanche, et pour ainsi dire jour par jour, au détail d’événemens que nous ne saurions nous lasser de connaître et de méditer. Sans compter ce qu’il peut y avoir de particulier à voir se montrer ainsi à nous, dans ce rôle d’adversaire acharné de la France, un officier d’origine française, le proche parent de cet Adrien-Marie de Verdy du Vernois qui fut, vers le milieu du siècle dernier,