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dans le palais das Necessidades, dont les jardins et les bosquets d’orangers couvrent le sommet d’une colline, à l’est de la ville. Des lanciers, sabre au clair, montaient la garde au pied de l’escalier d’honneur. En haut, dans la première salle, un détachement de hallebardiers formait la haie. Leur uniforme, assez sévère, comme celui des hallebardiers de la cour d’Espagne, leur belle prestance, le geste de tous les bras reposant à terre la hampe de l’arme au passage des visiteurs, composaient un tableau moyen âge, d’un goût rare, qui eût séduit un peintre. Dans un salon voisin, se tenaient le secrétaire particulier du roi, M. de Pindella, des chambellans, des officiers, un ou deux diplomates au costume chamarré de broderies, attendant l’audience. Très vite, un petit groupe se forma autour de M. le ministre de France, qui avait bien voulu me présenter. Une conversation s’engagea, à voix basse. Et cela ne suffit pas, sans doute, pour permettre de juger la société de Lisbonne, en ce moment dispersée ; mais l’accueil empressé fait au ministre de France, l’étude des physionomies, le thème et le ton de la causerie, ne démentaient pas ce qu’on m’avait dit de l’extrême affabilité du monde portugais. Pendant cette demi-heure d’attente, j’ai entendu parler, — en très bon français, — de poésie, de théâtre, de paysage. J’ai appris même qu’il y avait des poètes à la cour de Portugal. Quant au souverain, dont la présence dans une pièce voisine était à chaque moment rappelée par le va-et-vient d’un officier d’ordonnance, je savais qu’il était également lettré, qu’il possédait à fond le français, l’anglais, l’espagnol, l’allemand, l’italien, et même, je crois, le russe. On m’avait raconté qu’il peignait fort bien à l’aquarelle, excellait aux armes, et pouvait passer pour un des premiers fusils de l’Europe. Mais nous ne connaissons la physionomie des rois que par les timbres-poste. Et les timbres-poste sont souvent en retard. Quand je fus introduit devant Sa Majesté le roi don Carlos, je fus surpris de voir qu’il portait toute sa barbe, blonde, courte et frisée. Use tenait debout, appuyé à une console, en uniforme de général en chef, dolman noir avec le bâton de commandement brodé au col, et pantalon gris à bande rouge. Il avait causé quelques minutes, seul à seul, avec M. Bihourd. Quand j’arrivai, les questions d’affaires terminées, le roi, très aimablement, me tendit la main, me témoigna le regret que le Portugal fût si peu connu à l’étranger, me demanda quelle impression m’avait faite Lisbonne, et, sans chercher les mots, avec la même facilité d’expressions que s’il eût parlé portugais, me donna des aperçus intéressans sur les diverses provinces du royaume, sur le peuple, et parla de plusieurs littérateurs portugais dont le nom