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de devant. Il est alors proclamé vainqueur, et tous s’en vont faire baigner, dans la rivière la plus proche, les jambes de leurs chevaux, fort endommagées par ces exercices.

Ces fêtes offrent un spectacle curieux par la diversité des couleurs brillantes dont sont bariolées les longues robes de chambre des concurrens, ainsi que par l’indescriptible mêlée des hommes et des chevaux. Les cavaliers, parfois très vieux ou très gros, ont des tournures rendues encore plus bizarres par le vent qui gonfle leurs larges robes ; solidement cramponnés à leur selle, ils prennent les altitudes les plus irrégulières et se servent de leurs mains pour lutter avec acharnement, tout en montrant une insouciance complète de l’équilibre de leur monture. Quant à l’adresse des chevaux, elle est admirable et ils justifient pleinement la confiance illimitée que leurs cavaliers ont en leur solidité. Nous avons vu, par exemple, des concurrens, emportés par l’ardeur de la lutte, s’acculer dans un coin de la carrière limité par des maisons, grimper, sans s’occuper en aucune façon de diriger leurs chevaux et en employant leurs mains uniquement aux besoins du combat, les escaliers conduisant aux étages supérieurs, — et quels escaliers, des échelles formées de branches de saule, noueuses et tordues, réunies entre elles par de l’argile séchée ; — nous les avons vus ensuite pénétrer dans les logemens, démesurément bas de plafond, où gîtaient des familles nombreuses, en sortir par d’autres portes, toujours à cheval, puis descendre d’autres escaliers, sous forme d’une grappe vivante et roulante ; le tout sans interrompre un instant leur lutte acharnée, sans diriger leurs chevaux autrement qu’avec les jambes et sans qu’aucun de ceux-ci ait perdu l’équilibre, malgré de nombreux faux pas et malgré l’indescriptible poussée qui se produisait entre eux.

Ces exercices donnent encore une fort honorable idée de la race des chevaux karabaïrs, quelque inférieurs que soient ceux-ci comme sang et comme vitesse par rapport aux incomparables chevaux turkmènes et même aux excellens chevaux kirghiz.

Les Kara-Kirghiz des montagnes, eux aussi, de même que les Turkmènes, donnent souvent des baïgas, principalement à l’occasion des mariages. S’il faut en croire les voyageurs qui ont parcouru la région avant la conquête russe, l’usage, chez ces derniers, aurait été autrefois de pratiquer, au lieu de la course à la chèvre telle qu’elle vient d’être décrite, la course à la fiancée, dans laquelle l’héroïne était traitée, il faut le croire, avec plus de ménagement que ne l’est aujourd’hui la dépouille que s’arrachent les compétiteurs. La future mariée, montée elle-même sur un cheval, et revêtue de ses plus beaux atours, était poursuivie par les prétendans à sa main, qu’elle éloignait à grands coups de