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aryen, lequel prédomine dans les villes situées plus au sud, à Boukhara et à Samarkande notamment. Il serait trop long de décrire ici la physionomie, le caractère et les monumens de la ville indigène : tous ceux qui ont visité de grandes villes d’Orient, surtout dans les pays où la race est composite, savent ce que l’aspect des populeux bazars de ces pays peut présenter d’infinis détails et d’inépuisable variété.

…Il y a lieu d’admirer, dans celle capitale du Turkestan, combien les Russes sont habiles pour utiliser, au profit de leur autorité et de l’assimilation de leurs nouveaux sujets, tous les moyens moraux, souvent fort simples, mais qui n’en sont pas moins efficaces, dont peut disposer la civilisation occidentale. Je me souviens d’avoir passé à Tachkonl, en 1891, une soirée fort intéressante chez M. Ostrooumoff, l’éminent linguiste auquel on doit des études ethnographiques si curieuses sur le peuple sarte. Il remplit à Tachkent les fonctions d’inspecteur de l’Université, et, en même temps, il dirige le journal qui s’imprime trois fois par semaine, en langue sarte. Il a invité avec moi le kazi, chef civil de la population indigène, dont il a fait le sous-directeur de ce journal. Ce mot vient évidemment de l’arabe cadi, qui veut dire juge ; seulement les kazis sont ici des personnages beaucoup plus importans et beaucoup plus respectés que ne sont les cadis en Algérie. Ces derniers ne viennent qu’en troisième ou quatrième ligne dans la hiérarchie de chaque tribu ; ce ne sont, en somme, que des sortes de juges de paix à compétence restreinte, rendant la justice, d’une façon le plus souvent vénale, pour les petites affaires civiles où les indigènes seuls sont intéressés. Ils ne passent, hiérarchiquement, qu’après le clergé, et surtout après les caïds, chefs militaires des tribus. Ils ne passent même qu’après les khalifas, suppléans des caïds, et même souvent après les cheikhs, simples chefs des subdivisions de tribus. Ici les Russes ont fait autrement. Ils ont gardé pour eux l’autorité gouvernementale et le commandement militaire ; mais ils ont laissé aux indigènes, représentés par les kazis, l’administration civile. Il est vrai que les Sartes sont autrement aptes à l’exercer que les Arabes algériens. Ils la tiennent aussi en plus haute estime, et les honneurs rendus chez eux à la gloire militaire ne vont pas jusqu’à leur faire complètement mépriser l’importance des fonctions pacifiques. À Tachkent, par exemple, le kazi est une sorte de maire indigène, et, comme la ville a cent cinquante mille habitans, ses fonctions sont loin d’être minimes. En même temps qu’il rend la justice, il a sous ses ordres la police, et il est responsable vis-à-vis du gouvernement russe de l’ordre intérieur dans la ville.

Ce mode d’organisation ne s’applique, en Turkestan, qu’aux