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Un autre inconvénient fort sérieux est la trop grande étendue que prennent des villes construites sur de pareils plans : on ne peut les parcourir qu’en voiture, ce qui est coûteux et fort long. Les points où chacun est appelé par ses affaires sont trop éloignés les uns des autres. On fait quatre kilomètres pour aller acheter du pain ; on en fait quatre autres pour revenir à la poste, cinq pour aller au bazar, autant pour rentrer chez soi. Les divers bureaux administratifs sont éloignés les uns des autres de trois kilomètres, et Dieu sait ce que la vie russe comporte de stations quotidiennes dans des bureaux divers ! En outre, l’entretien des rues est fort onéreux, l’établissement d’un système d’éclairage public impossible : la part contributive qui reviendrait à chaque habitant serait trop grande. Il faut noter aussi que ces ruisseaux qui arrosent les arbres des avenues servent indistinctement de canaux d’irrigation, de rigolos d’alimentation pour la boisson des habitans, et aussi d’égouts à ciel ouvert : ce sont des véhicules d’épidémies, d’autant plus pernicieux qu’à certaines heures de la journée ils sont à sec. Il s’en dégage alors des miasmes dangereux.

Le résultat de ce mode de construction des villes, en apparence si logique et si supérieur à la disposition agglomérée, ne nous paraît donc pas répondre à ce qu’on était en droit d’en espérer, et après avoir été très séduit par lui au début, nous avons dû reconnaître qu’il n’y a pas lieu de le considérer comme l’idéal au point de vue des villes nouvelles à créer aux colonies.

Tachkent, malgré son étendue et sa population, n’a jamais été la capitale d’aucun État et n’a jamais joué un grand rôle politique. C’était une simple ville commerçante, dont l’importance était justifiée par sa situation sur la limite des steppes, au point de rencontre des routes unissant la Sibérie, la Boukharie, l’Inde, la Chine et l’Europe. Avant la conquête russe, c’est-à-dire avant 186Ti, elle faisait partie des États du khan de Kokan, mais elle formait avec les villes voisines une sorte de confédération jouissant de divers privilèges. Prise par le général Tcherniaieff, en 1865, elle est devenue aussitôt la capitale du Turkestan russe et la base d’opérations pour la conquête de tout le reste de cette vaste région.

Le bazar de Tachkent, un peu moins vaste que ceux de Boukhara et de Kokan, est pourtant très considérable encore. Il l’emporte, comme trafic et comme étendue, sur celui de Samarkande. Il se compose d’un labyrinthe de rues étroites, couvertes de toitures en nattes et bordées d’innombrables échoppes, où pullule une population mélangée de Sartes et de Kirghiz. Les Sartes de Tachkent ont plus de sang uzbeg et moins de sang iranien que ceux de Samarkande. Le type mongolique, à la face large, aux yeux bridés et à la barbe rare, y est beaucoup plus fréquent que le type