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de la chaleur sans devenir plus chaud, il peut perdre de la chaleur sans devenir plus froid.

Les corps ont la propriété d’affecter nos sens d’une manière plus ou moins intense, de nous paraître plus ou moins chauds ; cette propriété, les physiciens ne la représentent plus comme une grandeur, ils ne la mesurent plus ; tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de rapporter les diverses intensités de cette qualité à une échelle de nombres qui croissent en même temps que les corps s’échauffent ; chaque thermomètre nous fournit une semblable échelle. La quantité de chaleur, au contraire, est une grandeur que mesurent les diverses méthodes calorimétriques ; mais cette grandeur, sans relation directe avec la propriété qu’a le corps d’être plus ou moins chaud, mesure quelque chose que le physicien suppose en ce corps, non pas en vertu de ses perceptions sensibles, mais en vertu de ses idées théoriques.

Les idées théoriques des physiciens, touchant la quantité de chaleur, allaient elles-mêmes être bouleversées par la découverte de Black.


IV


Les diverses parties d’un corps échauffé étaient, selon les cartésiens, animées d’un mouvement très petit et très rapide ; la quantité de chaleur renfermée dans le corps était la mesure de cette agitation interne ; elle en représentait la quantité de mouvement, selon Descartes, et la force vive, selon les physiciens éclairés par les découvertes de Leibniz et de Iluygens. Grand fut le succès de cette théorie de la chaleur ; toutefois, elle ne parvint jamais à déraciner en certains esprits les théories qu’elle était venue supplanter ; si les scolastiques continuaient à regarder la chaleur comme une qualité, les chimistes, fils des alchimistes, persistaient à l’attribuer à une substance fluide répandue dans tous les corps : le feu.

Newton partageait les idées de Descartes sur la chaleur, mais la lumière, au lieu d’être pour lui l’effet d’un mouvement, était l’impression produite sur notre œil par une substance spéciale, formée de corpuscules très ténus que les corps lumineux lançaient avec une extrême vitesse ; la chaleur qui , si souvent, accompagne la lumière, n’est-elle pas un effet, soit de cette même substance, soit d’une substance analogue ? Beaucoup de disciples de Newton le pensèrent et abandonnèrent la doctrine cartésienne.

La découverte des principales manifestations de l’électricité porta un nouveau coup à cette doctrine ; les phénomènes électri-