Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/862

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Chambre des communes. Il n’est pas encore capitaine de cavalerie et Richelieu parle de l’antagonisme de Charles avec Olivier. Mais qu’est-ce qu’un tel anachronisme à côté de celui qui fait du caractère principal un contre-sens perpétuel ? C’est le malheur du drame et du roman historique de nous offrir les grands acteurs de l’histoire dans une posture et une attitude où leurs contemporains ne les ont jamais vus : se confessant, se racontant, se trahissant pour le sot plaisir de se mirer dans leurs phrases et de parler au lieu d’agir. De tous ces fanfarons de la politique théâtrale, le Richelieu de Bulwer est le plus vain et le plus insupportable. Que l’écrivain dise dans sa préface que le cardinal fut « le père de la civilisation française et l’architecte de la monarchie », c’est affaire à lui ; mais nous ne pouvons tolérer que Richelieu parle de lui-même à peu près dans les mêmes termes et à la troisième personne, comme pourrait le faire un Michelet ou un Carlyle en délire ; ni qu’il contrefasse le mort pour jouer ensuite le revenant ; ni qu’il pleure en scène, ni qu’il adresse une déclaration d’amour à la France : « France, je t’aime ! » et ailleurs : « Richelieu et la France ne font qu’un. » Nous ne pouvons lui permettre de voir « la France moderne renaître des cendres de la féodalité. » Car, après ces balivernes généralisatrices, nous ne serions pas étonnés de lui entendre dire : « Je suis le précurseur de 1789 ; ce que je n’ai pas pu finir, Bonaparte le fera dans les séances du Conseil d’État. »

Les caractères secondaires n’ont qu’un mot et un tic. Beringhen : « Discutons le pâté ! » et le duc d’Orléans : « Marion m’adore ! » A la tragi-comédie historique est cousu un mélodrame, fait d’après les règles du boulevard. Une succession d’événemens qui s’annulent et de surprises qui se renversent. Il faut crier : « Bravo, Richelieu ! Bravo, Baradas ! » comme, à la Porte-Saint-Martin ou à l’Ambigu, on crie : « Bravo, d’Artagnan ! Bravo, Mordaunt ! » C’est le système, mais non l’art de Dumas. Lord Lytton manque d’imagination et d’adresse. Ses effets sont misérables et il en abuse. La première résurrection de Richelieu est presque émouvante ; la seconde est ridicule. Le nœud de la pièce, c’est un certain papier qui voyage dans toutes les poches et n’arrive jamais à son adresse. Présentement le détenteur de ce trésor est prisonnier à la Bastille. Au lieu de le faire fouiller, le gouvernement envoie un courtisan qui se collette avec le détenu pour lui soustraire le document. La scène est suivie à travers le trou de la serrure et nous est racontée par un petit pagode Richelieu (c’est une femme qui joue ce rôle). A la sortie du courtisan, le page se jette sur lui pour lui arracher le morceau de papier