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écrivain et le grand seigneur. En réalité, c’était un snob, de la variété appelée dandy, et qui fit servir la littérature à son avancement social. Sa principale qualité, presque toujours absente de ses livres, mais très visible dans sa vie, fut la finesse. Il prit au satanisme byronien tout ce que pouvait supporter sans se fâcher l’Angleterre de 1840. Il copia Victor Hugo sans le dire et avec les précautions voulues. À la fois démocrate et.gothique, il caressait la jeunesse romantique et chatouillait le peuple en feignant de démolir la société où il aspirait à prendre sa place au premier rang. Ses romans étaient mortellement ennuyeux, mais il y a des générations qui sont touchées de ce genre de mérite. Lorsqu’on s’aperçut enfin que son sublime était du faux sublime, son histoire de la fausse histoire, son moyen âge du bric-à-brac, sa poésie de la rhétorique, sa démocratie une farce, son « cœur humain » un cœur qui n’a jamais battu dans aucune poitrine et, finalement, ses livres, des outres gonflées de vent, il était trop tard et le tour était joué. Le hobereau de Knebworth, le soi-disant descendant des Vikings, avait fondé une famille et décroché une pairie.

Il était à l’affût de toutes les causes populaires qu’on paraît servir et qui vous portent. Les gens parlaient de régénérer le théâtre et il voulut en être, mener l’affaire. Il était l’âme de la commission de 1832. Il était aussi de ceux qui « aidaient Macready » en 1838, et dans ce dessein, il écrivit The Lady of Lyons, sans d’abord, y mettre son nom. C’est un mélodrame traité littérairement : formule détestable, car le mélodrame, qu’on le considère comme une dégénérescence du drame, ou comme un type particulier, ne saurait être élevé à la littérature parce qu’on le recouvre d’une mince couche de poésie, comme on étend du beurre sur du pain. Cette opération illicite a pour résultat de violens, de furieux disparates. Au premier acte de la Dame de Lyon, Mme Deschappelles est une maman du Palais-Royal. Il n’y a qu’une maman du Palais-Royal, prise parmi les plus carnavalesques, pour se figurer qu’on devient princesse douairière parce qu’on marie sa fille à un prince. Pauline appartient au même répertoire. Quelle surprise lorsqu’il tombe de sa bouche des vers tragiques et qu’elle se mêle d’être sublime, au troisième acte, de lutter avec Imogène et Griselidis d’absurdité dans le sacrifice. Au quatrième acte, elle a repris des proportions plus naturelles : ce n’est plus qu’une institutrice pédante et ennuyeuse. Mais je suis, en quelque sorte, obligé d’accepter Pauline Deschappelles : c’est un des dogmes les mieux établis de la vieille psychologie théâtrale qu’un caractère peut, dans un moment de crise, se retourner et passer du mal au bien sans retour possible. Cette notion est la fausseté