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prologue soigneusement écrit, présentait l’auteur inconnu au public. Il y ridiculisait le drame du temps, qu’il définissait « un entassement de noires fatalités, avec des mots qui fléchissent sous leur propre poids. » Il annonçait un retour à la vérité et à la nature, l’invariable programme de toutes les réformes de la scène. En effet, dans un certain sens, Virginius pouvait être accepté comme un retour à la vérité et à la nature. C’était ce qu’on devait appeler en France, vingt-cinq ans plus tard, l’école du bon sens. Ou, si l’on aime mieux remonter en arrière, c’étaient les règles du drame bourgeois appliquées à la tragédie romaine. La pièce était mêlée de vers et de prose comme les drames de Shakspeare, mais les vers n’étaient que de la prose métrique. Tout s’expliquait logiquement, toutes les probabilités et les vraisemblances étaient scrupuleusement observées. L’héroïne, — on sourit du disparate en écrivant ce grand mot, — est une petite pensionnaire qui a appris la vertu dans miss Edgeworth. Avec son aiguille elle s’amuse à entrelacer ses initiales avec celles d’un jeune homme qui lui plaît et qui n’est autre que le tribun Icilius. C’est cette broderie qui la dénonce. « Mon père est furieux contre vous, » dit-elle à Icilius et, comme l’amoureux devient pressant, elle se couvre la figure de ses mains en disant, comme il convient en pareil cas : « Laissez-moi ! laissez-moi ! » Il n’obéit pas, et l’auteur, ne sachant comment prolonger la scène, se jette dans l’euphuïsme. « Ne faites pas de moi une mendiante et de vous-même un banqueroutier en m’accordant une valeur que je n’ai pas »… « Nous jouons à qui perd gagne, dit à son tour Icilius, il est temps d’arrêter le jeu. »…

Et il l’arrête en l’embrassant. Dans la scène où le client d’Appius essaie de s’emparer d’elle, Virginie est absolument muette. Elle l’est encore dans la grande scène du jugement et, de plus, elle ne semble avoir rien compris à ce qui se passe, car elle demande à son père s’il va la reconduire à la maison. Des anges et des furies de Shakspeare et de Corneille, nous tombons à une vertueuse idiote, et voilà le retour à la nature !

Virginius est un excellent père, un bourgeois libéral qui s’occupe de politique. Il connaît ses droits, et les ministres ne lui font pas peur. On croit voir un City man qui revient de son office dans Leadenhall-street pour se reposer dans sa confortable demeure de Chiswick ou de Hampstead. Il est veuf, mais sa maison est tenue par une vieille personne très décente qu’à ses sentimens excellons et à sa faible cervelle nous reconnaissons pour une honsekecper de la bonne école. Tout cet ensemble est calme, honnête, chrétien et même puritain.