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agissant, en détacher les mots décisifs, unir le pur classicisme de Jolin Kemble avec la passion de Kean, y joindre enfin ce sentiment du réel qui l’inspirait lui-même et parfois l’entraînait trop loin. Lorsque, jouant Macbeth, il sortait de la chambre de Duncan, il avait l’air d’un escarpe de profession qui vient de suriner un pante. C’était trop, mais eût-il fallu, comme le réclamait un critique, qu’on sentit « un guerrier qui vient, par un acte d’audace, de saisir la couronne[1] ? » Je laisse le lecteur résoudre la question. Il me suffit d’avoir indiqué que Macready, comme bien d’autres à travers l’Europe de 1825, attendait un drame plus vrai, plus rapproché de la vie. En France, il vint le romantisme qui détourna et faussa le mouvement, en Angleterre il ne vint absolument rien.

Mais la faillite de la nouvelle école était encore loin et l’atmosphère littéraire était chargée de rumeurs belliqueuses lorsque Macready parut en France, avec une troupe anglaise, dans le cours de l’année 1827. Il fut reçu comme un missionnaire ; il venait prêcher Shakspeare à de pauvres ignorans que leurs pères avaient élevés dans l’idolâtrie de Lemierre et de Luce de Lancival, et qui s’empressaient à recevoir le baptême. La jeune première était une miss Smithson dont on n’a jamais entendu parler ni avant ni depuis, et qui accommodait Shakspeare à l’irlandaise. Los Parisiens lui crurent du talent et s’éprirent de « la belle Smidson » : à Londres, on en rit encore. Il n’en est pas moins vrai que ces représentations révélèrent au véritable dramaturge du romantisme, à Alexandre Dumas, le secret d’un art nouveau ; qu’elles sont, par conséquent, une date dans notre histoire littéraire, et que ce succès mit le sceau à la réputation du tragédien anglais.

Auprès des théâtres privilégiés existaient déjà plusieurs autres scènes, telles que le Haymarket et l’Adelphi. On y donnait des farces et des mélodrames. En province prévalait un système curieux qui, je crois, n’a eu d’analogue en France à aucune époque : celui des circuits. Le mot, comme l’usage lui-même, est emprunté à la langue et aux mœurs judiciaires. Les juges se transportent, à certaines dates, pour tenir les assises dans les villes les plus importantes d’un certain ressort, accompagnés d’un peuple d’attorneys, d’avocats et de légistes de toute sorte. De même, une troupe d’acteurs desservait un comté ou un groupe de comtés et donnait des séries de représentations dans le théâtre de chaque ville, à des époques déterminées, sans compter

  1. G. Lewes, Actors and the art of acting.