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une viande qui a séjourné sur la glace ne vaut plus rien. Interrogez la maison Duval, dont les trois boucheries ensemble vendent pour un million de francs par an ; elle vous répondra que cette branche de son exploitation ne lui donne pour ainsi dire aucun bénéfice, que son gain provient uniquement de ses restaurans. Encore a-t-elle renoncé à l’achat des animaux sur pied pour n’avoir pas à courir les risques de reventes onéreuses.

Quelques-unes de ces objections sont fondées, d’autres seulement spécieuses, et le lecteur n’attend pas d’un profane qu’il entre ici dans le vif d’un débat, dont le « collier », la « joue » et la « plate-côte » feraient tous les frais. Il est vraisemblable que, sous l’impulsion d’un spécialiste hardi, la boucherie se modifiera : le novateur sortira-t-il d’un état de quartier ou d’un échaudoir de la Villette ? Sera-ce un « bœuftier » ou un « moutonnier », c’est-à-dire un boucher de l’abattoir dont le trafic ne porte que sur le mouton ou sur le bœuf ? Viendra-t-il des Halles centrales, en la personne d’un de ces trop nombreux facteurs ou commissionnaires sans ouvrage, mécontent de sa place dans le coin délaissé d’un pavillon, de ce qu’on appelle en argot de l’endroit être logé « à la purée » ? Nul ne peut le savoir ; l’évolution, jusqu’à ce qu’elle s’accomplisse, continuera à passer pour impossible.


VIII

Il est certain qu’elle présente des difficultés, puisque la viande est, de tous les alimens, celui qui a donné le plus de déboires aux sociétés coopératives. Aussi abordent-elles cet article avec beaucoup plus de timidité qu’aucun autre. Sur un millier de coopératives de consommation existant en France, 400 ont pour objet la boulangerie, 19 seulement s’occupent exclusivement de la boucherie. Celles qui embrassent l’universalité des comestibles obtiennent, dans cette dernière branche, des résultats assez médiocres.

Leur insuccès relatif n’est cependant pas de nature à nous décourager. La coopération, en qui l’on s’accorde à voir non la seule, mais la principale forme de distribution des marchandises dans l’avenir, est encore au berceau. Ce chiffre de I 000 sociétés, donné plus haut, n’est qu’un leurre ; la plupart jusqu’ici végètent sans adhérens, sans capital, sans affaires. Elles se composent en général de quelques centaines de personnes, effectif assez semblable à la clientèle d’un petit marchand. Elles ont par suite les mêmes frais que lui. Plus des trois quarts de nos coopératives ne comptent pas 500 membres ; quatre seulement en ont plus de