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fraternisant sous le même toit. D’un côté, la pâtisserie, la biscuiterie anglaise et française, avec leurs agencemens de fours compliqués ; la confiserie, où s’entassent les amandes flots, destinées à la confection des dragées, dont il se vend ici 100 000 kilos par an, un joli contingent de baptêmes. Non loin des bassines de cuivre où les amandes, enduites de gomme, subissent, par une rotation incessante, l’opération de l’enrobage dans une écorce de jus parfumé, travaillent les artistes de la partie ; les sculpteurs en sucre et en chocolat. Leur chef modèle prestement des fleurs et des animaux, des arabesques et des personnages pour les œufs de Pâques ou les pièces montées ; il reproduit, en de prestigieux bas-reliefs d’étalage, une scène de drame ou un ballet de féerie. Le tout, sans autres instrumens que des cornets de papier, remplis de sucre lié au blanc d’œuf, dont il fait jaillir le contenu par la pression simple du pouce.

Nous voici arrivés à la casserie de sucre. Un nuage de poussière blanche nous enveloppe et nous aveugle. Le sucre poudre nos cheveux, neige sur nos habits, entre en nous par tous les pores. Nous en aspirons, nous en mangeons sans le vouloir. Pour ne pas emporter chaque soir, dans leur chignon, un dépôt de ce produit inoffensif mais sirupeux, les femmes, presque exclusivement employées ici, ont la tête emmitouflée de linges blancs. Un monte-charge à godets enlève un à un, au fur et à mesure du déchargement, les pains apportés par les voitures des raffineries. En quelques secondes le pain, au moyen de scies à vapeur, est divisé en rondelles circulaires ; ces rondelles, passant sous des couteaux mécaniques, prennent aussitôt la forme de longs rectangles ; ces rectangles à leur tour sont partagés, par un troisième appareil, en une quantité de ces cubes minces et réguliers que nous consommons. La vente du sucre en pain a presque totalement cessé : sur les 20 000 kilos que Potin vend chaque jour il n’est pas livré, en pains, plus de quatre à cinq cents kilos. Les établissemens publics, puis les particuliers, ont reconnu que la manipulation à domicile de ces cônes incommodes était désavantageuse.

Les raffineries elles-mêmes ont tiré parti de ce nouvel usage, en annexant à leur industrie principale cet accessoire de la casserie du sucre, qui leur procure des bénéfices très appréciables. Il est possible que, de son côté, la grande épicerie, dont le propre est la suppression des intermédiaires, se charge elle-même à bref délai du raffinage des sucres. Elle pourra ainsi réduire le prix au détail d’une somme fixe d’environ cinq centimes par kilo. Ce ne serait pas encore le sucre gratuit ou « presque gratuit » que promettait une réclame fameuse, mais ce serait