Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/826

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’affaires, et dans les minuscules à 12 ou 15 pour 100. Cependant le grand magasin entretient, pour le service de Paris et de la banlieue, une cavalerie de 250 chevaux et des voitures à proportion, qu’il fabrique et répare lui-même dans ses ateliers.

Ce n’est pas au reste par les affaires que la maison fait directement que s’exerce son action bienfaisante. Qu’est-ce que 45 millions, sur un ensemble de denrées dont la France consomme annuellement pour plus de quatre milliards et demi de francs, c’est-à-dire cent fois davantage ? On ne voit pas que les petits commerçans aient lieu de se plaindre ni de crier au monopole. Il est aisé de s’en convaincre en passant en revue les principales marchandises : la plus notable des deux épiceries Potin (boulevards Sébastopol et Malesherbes) est le sucre : elles en vendent pour 6 millions ; or les Français en mangent pour 400 millions. Ils boivent pour 900 millions de vins et Potin en vend pour 5 millions. Que sont les 4 millions et demi de chocolat débité par la maison qui nous occupe, auprès de telle fabrique comme celle des Menier, qui en expédie pour une somme huit fois supérieure ; et ses quelques millions de café auprès des 300 millions de francs que peuvent valoir au minimum les 68 000 tonnes introduites chaque année sur notre sol ? Mais si Potin, et avec lui nombre de grandes boutiques analogues qui ont sagement adopté son système et le pratiquent avec des succès divers, n’empêchent pas le petit commerçant de vendre, ils le forcent à vendre bon marché. Ils établissent dans le pays, au moyen de leurs catalogues partout répandus, un prix régulateur qui sort de base aux transactions de détail et ne comporte qu’une majoration modérée de la valeur d’achat. Voilà leur crime ! et voilà, selon nous autres, pauvre bon public, leur titre à notre estime et à nos encouragemens.

C’est ainsi que Potin a essaimé en province environ 160 maisons qui, sans dépendre directement de lui, tiennent une partie de ses marchandises et ont porté dans les villes les plus éloignées « l’esprit nouveau » des denrées alimentaires. A l’antipathie suscitée par ces gêneurs, dans nos chefs-lieux de départemens et d’arrondissemens, chez les rivaux qu’ils dérangent, nous pouvons mesurer leurs services. La bataille a été rude et la clientèle âprement disputée. Mais, pourvu que ces disciples restent fidèles à la doctrine de la maison parisienne, où la plupart d’entre eux ont travaillé comme garçons avant de s’établir, pourvu qu’ils vendent de bonnes choses à bon marché, leur victoire n’est qu’une ; question de temps.

Encouragée par les résultats obtenus en France, la grande épicerie aborde déjà l’exportation. Les colonies françaises lui ouvrent un débouché naturel. Grâce au système de drawbacks,