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vente, portant sur environ 2 000 articles divers de consommation, est répartie dans les journées moyennes sur 20 000 achats — 30 000 en certaines saisons — faits en personne ou par correspondance, et destinés à une clientèle qui embrasse toutes les classes de la société.


III

A l’origine, le bon marché de ces produits constituait à leur encontre une sorte de tare vis-à-vis d’un grand nombre de gens. Un préjugé assez naïf, identifiant la qualité à la cherté, entretenait la défiance. Il eût fallu manquer totalement de respect humain pour oser avouer, dans un salon, que l’on se fournissait au rabais. Le populaire, chez qui la nécessité bannit la vergogne, forma seul le noyau primitif ; puis le bourgeois s’enhardit ; maintenant les riches à leur tour s’y portent. Cependant, par une discrétion calculée, certains articles demeurent anonymes. Potin signe rarement ses bonbons ; peut-être leur ferait-il tort dans le monde en s’en reconnaissant l’auteur. Il se prête au contraire de bonne grâce aux velléités ambitieuses des cliens, qui fréquemment lui apportent, pour les faire remplir, des sacs et des boîtes vides sur lesquels flamboient en lettres d’or les noms de fournisseurs en vogue.

La comptabilité, les écritures d’un débit aussi fractionné sont réduites à leur expression la plus sommaire. Quoique le nombre et le montant des vols soient incomparablement moindres que dans les grands bazars de nouveautés, il est presque impossible de prévenir tout à fait les petits larcins commis par le personnel ou concertés entre des garçons et des acheteurs. Sur un effectif de 2 000 individus occupés soit dans les magasins, soit dans les usines, il y a toujours des brebis galeuses. Lors d’une fouille faite à l’improviste sur les ouvriers sortant de la fabrique de charcuterie, on découvrait ces derniers mois une poitrine de porc que l’un d’eux s’était indûment fourrée dans le dos, sous son gilet. Mais comme dans la nouveauté, les frais nécessaires pour éviter ce léger coulage dépasseraient beaucoup le préjudice que la maison éprouve de ce chef. Les commis écrivent sur des fiches le montant détaillé de leurs ventes au fur et à mesure qu’ils les effectuent ; ces fiches sont contrôlées séance tenante de plusieurs manières, mais les caissières ne portent en compte sur leurs livres que le total et non la substance de chacune d’elles. Le point capital était de réduire au minimum l’ensemble des frais généraux. On y réussit, puisqu’ils n’excèdent pas 5 pour 100, tandis que dans les épiceries moyennes, ils montent à 8 ou 10 pour 100 du chiffre