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mauvais poissons, très différens de ceux qui figuraient à la surface.

Mêmes supercheries dans les diverses branches du commerce, et je prie le lecteur de croire que je n’en ai fait aucune recherche spéciale. A peine ai-je noté quelques-unes de celles qui me sont passées sous les yeux, pour les opposer aux détracteurs trop déterminés du présent : la cire était couramment droguée, au XVe siècle, avec une mixture de résine et de poix de Bourgogne. Plus tard les fabricans de chandelles y introduisaient de mauvaises graisses, des suifs calcinés et noirs qu’ils recouvraient de bon suif. Il y a cent ans la livre de bougie, au lieu de 490 grammes, était venue à n’en plus représenter que 420, parce qu’on la pesait avec deux enveloppes superposées de papier épais et très lourd. « Une tromperie et malversation commune à présent, disait-on sous Louis XIV, entre les marchands papetiers, fait qu’il est presque impossible de trouver en leurs boutiques des mains qui ne soient pas fourrées de papier coupé et de mauvaise pâte ; outre que le nombre des feuilles ne se trouve jamais. » Pour les laines, le commerce de gros s’arrangeait de manière à les vendre encore humides et « sans avoir été lavées à fond. » Le chapelier faisait passer pour castor authentique des chapeaux — demi-castor — où il avait glissé de la laine de vigogne ou insinué du poil de lapin ; et, quant à l’industrie des cuirs et peaux, Dindenaut nous apprend, dans le marché qu’il traite avec Panurge, que la peau de ses moutons se transforme habituellement « en beaux maroquins du Levant ou tout au moins d’Espagne ! »

Entre les produits imités qui se vendent de nos jours au détail sous des pseudonymes, et que l’on classe avec quelque rigueur parmi les falsifications, il est nombre de denrées secondaires, établies à très bas prix par le fabricant, grâce aux matières premières plus modestes substituées à celles dont, théoriquement, ces denrées devraient se composer. Personne n’est dupe des appellations conventionnelles que ces marchandises conservent sur leurs étiquettes, puisqu’elles coûtent parfois la moitié ou le quart des produits garantis. Lorsque ce bon marché est obtenu sans danger pour l’hygiène ou la santé nationale, non seulement ces innovations ne méritent aucune critique, mais elles constituent un progrès véritable.

Par exemple, comme on ne parviendra pas de sitôt sans doute à enfanter chimiquement de l’huile d’olive ou du vieux cognac dans les laboratoires, et que la quantité restreinte de ces liquides les maintient à un taux inabordable pour les classes populaires, c’est un résultat très appréciable que d’avoir mis à la portée des petites bourses des huiles de coton ou des alcools de maïs qui, judicieusement préparés, rappellent plus ou moins