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denrées : on teint les cafés verts, on les alourdit par un trempage ; on fabrique aussi de faux grains de café. Au café moulu on mélange des racines, des rhizomes, des graines de divers fruits, voire du marc déjà épuisé. On ne respecte pas davantage le thé, ni la chicorée à son tour qui, employée pourtant à simuler le café, ne trouve pas grâce devant des sous-falsificateurs, habiles à l’additionner de produits inférieurs encore.

Mais ces tromperies sur la qualité et la quantité ont été de tous les temps. Le nôtre à cet égard n’est ni meilleur ni pire. Il ne doit pas être justifié, il ne saurait non plus être accusé isolément. De ce que, notre police étant mieux faite, on découvre et l’on poursuit plus de crimes aujourd’hui qu’autrefois, il ne faut pas par cela seul conclure qu’il y en a davantage. Ne doutons pas que, s’il avait existé un laboratoire municipal il y a un siècle ou deux, ses chefs n’eussent eu de la besogne.

J’ai indiqué, dans un précédent article, les pratiques fallacieuses dont les vins, depuis une antiquité reculée, ont été victimes[1]. Il serait aisé de signaler, pour la plupart des marchandises, des tricheries analogues, plus rudimentaires, — telles que les comportait la grossièreté de l’époque, — mais aussi blâmables. On fraudait les épices au XIVe siècle ; on mêlait aux confitures, — denrée fort coûteuse, — de l’amidon, de la farine et « diverses mauvaises matières ». On baptisait le lait à Paris, sous Charles V ; on l’écrémait par les mêmes procédés qu’à l’heure actuelle ; le lait « non esbeurré » faisait déjà prime sur le marché. Il n’est pas rare, sous Louis XIII, de rencontrer des sentences du lieutenant civil contre les bouchers qui, « par une malice affectée, tuent des chats et, après les avoir écorchés, les déguisent et habillent en forme d’agneaux, et ainsi les exposent en vente. » Quoiqu’ils soient condamnés à l’amende et à aller en cérémonie jeter ces chats dans la Seine, par-dessus le pont de bois du Châtelet, les bouchers ne se font pas faute de récidiver. Sous Louis XV, on empâtait le poivre pour augmenter le volume des grains ; les épiciers surchargeaient d’une espèce de composition celui qu’ils faisaient venir de Hollande. Il se rencontrait des marchandes astucieuses qui vendaient pour du beurre de méchans fromages qu’elles avaient adroitement enduits de beurre sur toutes leurs faces. On mêlait au quinquina l’écorce d’un arbre quelconque qui en avait l’aspect, en prenait l’odeur, mais qui, bien que décoré du nom de « quinquina femelle », ne possédait aucune de ses propriétés. Les chasse-marée et vendeurs de poisson se livraient au « fourbaudage », consistant à garnir le fond des paniers de

  1. Voir, dans la Revue du 1er octobre 1894, le Travail des vins.