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principe de la division du travail à la détermination des armes avec lesquelles un bâtiment est appelé à satisfaire aux exigences tactiques, aux exigences du combat.

Notre opinion n’a pas varié. Mais nous reconnaissons en revanche, et notre étude a prouvé, du moins en ce qui concerne les croiseurs, que ce principe reprend toute sa force s’il s’agit de la détermination du type général du bâtiment, c’est-à-dire de son adaptation aux exigences stratégiques, aux exigences d’une méthode de guerre bien définie.

Oui, la spécialisation du rôle et des facultés stratégiques s’impose absolument si l’on veut créer une flotte dont les élémens divers satisfassent aux trois objectifs essentiels de toute guerre navale : Défendre sa propre frontière maritime ; attaquer celle de l’ennemi, — ce qui suppose la destruction préalable de ses forces organisées, de ses escadres ; — ruiner son commerce et supprimer son ravitaillement extérieur. A chacun de ces objectifs doivent correspondre des catégories de navires rigoureusement distinctes : gardes-côtes et torpilleurs, pour défendre le littoral : cuirassés d’escadre et éclaireurs, pour combattre la flotte de l’adversaire ; croiseurs, enfin, pour capturer ses paquebots.

En établissant ses programmes de construction, notre marine s’est-elle toujours et uniquement inspirée de ce principe, si simple, si indiscutable, de l’adaptation exacte de l’engin au but poursuivi ? — Elle le croit sans doute. Nous n’oserions pourtant l’affirmer. Et peut-être, dans les luttes décisives, notre personnel d’élite ne trouverait-il pour servir sa valeur que des armes mal choisies et des navires mal conçus, si l’on continuait à se complaire dans la réalisation de ces types hybrides, de ces gardes-côtes comme le Valmy, que leur puissance rapproche sans raison des cuirassés d’escadre, et, en revanche, de ces cuirassés d’escadre comme le Saint-Louis, que la faiblesse de leur rayon d’action réduit fatalement au rôle de gardes-côtes ; si l’on persistait à construire des éclaireurs tels que le Chanzy, dont les soutes s’épuiseront plus vite encore que celles des navires qu’ils ont la prétention d’éclairer, tandis que les vrais croiseurs, les croiseurs-corsaires, alourdis par un formidable et inutile appareil guerrier, laisseront passer les convois de vivres attendus avec angoisse par l’adversaire affamé.