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sa chambre ou sa cellule, mais sa table même étaient toujours très bien rangées. Papier, plumes, crayons, canif, étaient disposés toujours à la même place. Il s’asseyait devant cette table à une heure, toujours la même, et il commençait à écrire avec rapidité, d’une petite écriture fine, serrée, sans ratures, un grand nombre de lettres qu’on trouvait ensuite disposées en pile sur un coin, toujours le même, de son bureau. Avec la même régularité, lorsqu’il était à Paris, il se rendait au confessionnal à certains jours et à certaines heures fixées. Il attendait dans la sacristie que l’heure sonnât, et au premier coup de l’horloge on le voyait ouvrir la porte et apparaître avec la régularité d’un automate, ce qui amenait quelquefois un sourire sur les lèvres de ses pénitens et pénitentes. La direction a donc occupé, dans la vie de Lacordaire, une place plus grande qu’on ne l’a dit. C’est surtout dans la seconde moitié de sa vie et vis-à-vis des jeunes gens qu’elle s’est développée. L’influence qu’il a exercée sur les jeunes gens et qui s’est fait longtemps sentir dans le monde catholique, ses méthodes d’éducation qui sont encore en honneur dans certains établissemens religieux, mériteraient une étude à part. Je me bornerai à marquer, par un trait, quelle conscience il apportait dans la direction de ces jeunes âmes. Lorsqu’il fut question de sa candidature à l’Académie française, Lacordaire dut venir passer quelques jours à Paris. Il avait annoncé son retour à Sorèze pour un certain samedi. On voulait le retenir ce jour-là pour une démarche importante : « Non, répondit-il ; c’est le jour où je confesse, et l’on ne peut pas savoir quel trouble une confession retardée peut amener dans la vie d’une âme. »

En dehors de ses Lettres à des jeunes gens, la seule correspondance spirituelle de Lacordaire que nous possédions ce sont ses lettres à la baronne de Prailly. Elles ont été publiées vingt-trois ans après la mort de Lacordaire, quatre ans seulement après la mort de Mme de Prailly, mais par un acte exprès de sa volonté, comme un témoignage de reconnaissance envers celui qu’elle appelait son premier et son seul vrai père. Elles pouvaient l’être sans inconvéniens. La vie de Mme de Prailly fut, en effet, une de ces vies unies et transparentes qui peuvent apparaître au grand jour sans qu’aucun sentiment de discrète pudeur en soit choqué. Les lettres que lui adresse Lacordaire ne marquent point d’autres étapes que celles d’une ascension, lente et soutenue, vers le plus haut degré de perfection et d’austérité chrétiennes qui soit compatible avec la vie du monde. Elle était née dans ce riche milieu de la bourgeoisie industrielle où, il y a cinquante ans, on donnait encore aux jeunes filles une éducation religieuse plus