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faibles, les canons de 18 de la frégate ne perçaient pas la robuste membrure du vaisseau, tandis que les boulets de 36 de celui-ci coulaient sur place son frôle adversaire.

Le même résultat serait sans doute atteint par le cuirassé, s’il réussissait à loger dans les œuvres vives de l’éclaireur un de ces énormes obus à grande charge intérieure qui sont de véritables « torpilles lancées ». Mais, outre que la lenteur du tir des canons monstres les met déjà dans une situation d’infériorité sensible vis-à-vis des pièces moyennes à tir accéléré, nous ne devons pas oublier que les flancs de notre éclaireur type sont recouverts d’une cuirasse légère, — 10 à 12 centimètres d’acier, avons-nous dit plus haut, — et qu’à la distance de 3 000 à 4 000 mètres, où le feu commence maintenant, ce blindage arrêtera l’obus de gros calibre, qui le viendra frapper obliquement. Pendant ce temps les projectiles de l’éclaireur, les obus de 19 centimètres et de 10, ceux de 14 surtout, remplaçant la puissance individuelle par le nombre, détruiront peut-être les mécanismes des lourdes pièces du cuirassé d’escadre et ruineront ses œuvres mortes, qu’une épaisse ceinture de métal arrêtée un peu au-dessus de la flottaison laisse sans aucune défense.

Les circonstances d’un long combat d’escadre permettent-elles au contraire à l’éclaireur d’atteindre le cuirassé affaibli par la lutte, sans avoir subi lui-même d’avaries majeures ? — Qu’il le range rapidement bord à bord, qu’il fasse jouer avec vigueur toute son artillerie rapide avant que l’ennemi ait pu donnera ses canons l’angle négatif extrême ; et alors, si une torpille heureuse part des flancs de l’éclaireur, la perte du mastodonte sera consommée !

Ainsi, de loin ou de près, au début de l’action comme à la fin de la mêlée, nos grands éclaireurs peuvent jouer un rôle tactique considérable dans le combat d’escadre. Un commandant en chef soucieux d’utiliser exactement suivant leurs facultés tous les élémens mis à sa disposition fixera par conséquent à la « division légère », dans ses instructions générales, deux objectifs différens, mais d’une égale importance : entamer l’ennemi ou l’achever ; l’obliger au combat ou déterminer sa fuite. En un mot, il en fera, suivant les circonstances, soit son avant-garde, soit sa réserve.

Faut-il insister sur ces deux points ? Dirons-nous l’engagement de cette avant-garde mobile, rapide et solidement constituée qui, devançant le gros de l’armée, se jette sur l’ennemi, canonne les poupes de ses vaisseaux, partie vitale et presque toujours mal protégée, repousse la contre-attaque de ses éclaireurs, l’oblige à faire volte-face et l’entraîne à une rencontre générale à laquelle il se dérobait ?