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Nelson. L’habile marin a compris que Villeneuve n’aurait pas quitté Toulon pour s’enfermer à Carthagène, que sa relâche serait courte, et qu’avant tout il fallait prévenir l’ennemi à Gibraltar. Il force de vapeur, il laisse derrière lui quelques unités de combat dont les machines faiblissent, confiant dans la victoire pourvu qu’il joigne Villeneuve. Déjà ses éclaireurs, atteignant le Talbot, canonnent l’arrière-garde française… Et voici que de l’autre côté île l’horizon de nouvelles fumées apparaissent : ce sont les 5 cuirassés de l’amiral Orde qui surveillent le détroit. Villeneuve est cerné. Il faut combattre !

Nos lecteurs ont aisément compris, parcelle adaptation idéale des types récens aux circonstances de la campagne maritime la plus décisive des temps modernes, pourquoi une tache aussi délicate et aussi capitale que celle de l’observation de l’escadre ennemie à la mer ne pouvait être efficacement remplie que par un groupe de bâtimens, pas une sorte d’« unité collective ».

Voilà donc bien établie une différence nouvelle, une différence profonde entre l’éclaireur et le croiseur du large, puisque celui-ci suffit seul à sa mission, puisqu’on ne peut attendre de lui — placé si loin ! — aucun avis utile pour les mouvemens des escadres et qu’il n’a besoin d’entretenir avec la terre d’autres relations que celles que lui créent naturellement les paquebots ravi tailleurs.

Mais, bien que nous ne prétendions pas épuiser l’examen des phases diverses des opérations auxquelles un éclaireur peut prendre part, notre étude serait trop incomplète si nous ne le montrions engagé dans la crise finale, dans l’action tactique où se résout toute conception stratégique, en un mot dans le combat d’escadre.

Ici encore le rôle des éclaireurs, cette fois réunis et endivisionnés, deviendra fort important. Il n’en était pas ainsi dans les guerres du temps passé : les frégates n’eussent point risqué de se compromettre dans la mêlée, bien moins encore de commencer l’attaque. Tout au plus, à la fin de l’action, et après s’être canonnées à distance, se glissaient-elles entre les combattans pour amariner les vaincus ou donner une remorque aux vainqueurs mutilés.

L’attitude des grands éclaireurs d’aujourd’hui sera tout autre et leur tactique de combat bien plus active. Entre eux et le cuirassé d’escadre, la torpille automobile, le tir rapide, les explosifs violens établissent, pourvu que les conditions de la lutte soient bien choisies, un certain équilibre de forces qui ne pouvait exister entre le bâtiment de ligne et le navire léger d’autrefois. Trop