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fussent point trop âpres. Ce n’est pas cependant que la direction proprement dite ait tenu la place principale dans la vie de Lacordaire. Il ne faut chercher en lui ni un François de Sales, ni un Fénelon. Sa puissance était ailleurs, dans sa parole, dans son action sur les esprits. « Je ne confesse point, disait Duguet, un des grands directeurs du XVIIe siècle, mais on dit que j’ai le don de consolation. » De Lacordaire, on aurait pu dire qu’il avait le don de persuasion. Les trente premières années du siècle avaient vu naître une génération, élevée vis-à-vis de la doctrine catholique dans les sentimens d’une indifférence dédaigneuse, quand ce n’était pas ceux d’une hostilité déclarée. L’Eglise était considérée comme une grande ruine, respectée des uns, méprisée des autres; mais parmi les esprits qui naissaient à la vie et au mouvement des idées, personne ne songeait à chercher un abri sous son toit. Lacordaire avait entrepris de restaurer l’édifice. Il en avait montré l’antique ordonnance et la beauté extérieure. Les brèches que le temps avait faites à ses murailles, il s’était efforcé de les réparer. Il conduisait ceux qui le suivaient jusqu’au seuil; il les aidait à le franchir, et, s’il ne les guidait pas toujours jusqu’à l’autel qui s’élevait au fond, c’est qu’une autre main se trouvait là pour les y amener. Ces temps où le Père Lacordaire prêchait la station de l’Avent et le Père de Ravignan celle du Carême qui était suivie de la retraite et de la communion pascales, sont demeurés, en ce siècle, l’âge brillant de la prédication catholique. Mais le rôle de Lacordaire n’était pas seulement, comme il le disait avec trop d’humilité, de préparer les esprits. Ceux qui l’ont poursuivi d’une constante malveillance ont singulièrement exagéré les choses en disant qu’il n’a jamais converti personne. Beaucoup d’âmes se sont au contraire adressées à lui, et il a goûté dans leur commerce la meilleure récompense d’une vie consacrée aux rudes travaux de l’apostolat : « C’est à Notre-Dame, au pied de ma chaire, a-t-il écrit, que j’ai vu naître ces affections, et ces reconnaissances dont aucune qualité naturelle ne peut être la source et qui attachent l’homme à l’apôtre par des liens dont la douceur est aussi divine que la force... »

Ce qui est vrai, c’est que sa vie, toujours militante et longtemps errante, ne lui permettait pas d’exercer la direction sous sa forme la plus habituelle, celle des entretiens et de la confession. Il avait surtout recours à la correspondance. Aussi la correspondance tenait-elle une grande place dans sa vie. Tous les jours, il y consacrait plusieurs heures. Chose qu’on aurait quelque peine à croire, si ceux qui ont vécu avec lui n’étaient d’accord pour l’affirmer, il était très méthodique dans ses habitudes. Non seulement