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l’adversaire s’attachait ainsi à rompre notre ligne de communications pour « affamer » à leur tour nos redoutables croiseurs du large, il resterait encore à ceux-ci la ressource de s’emparer du combustible de leurs prises, quitte, s’il le fallait, à les couler après évacuation complète. Car, de les expédier vers un de nos ports avec un approvisionnement de charbon qui ne leur permettrait pas de développer toute leur vitesse, ce serait compromettre l’équipage qu’on y ferait passer, en exposant le navire à être repris par l’ennemi.


Les considérations d’ordre exclusivement stratégique que nous venons d’exposer nous permettent de déterminer quelques-unes des caractéristiques du type de nos croiseurs. La première, la plus essentielle de ces caractéristiques est le déplacement ; or le croiseur du large sera un très grand bâtiment :

1o  Parce que, forcé de rester longtemps à la mer et incertain de son ravitaillement, il doit emporter des approvisionnemens considérables de combustible, d’eau douce, de vivres, ainsi que de fortes réserves de personnel ;

2o  Parce qu’il doit primer de vitesse tous les croiseurs et tous les paquebots actuellement en construction, ce qui.suppose un appareil moteur très puissant, et que cet appareil moteur, fractionné en trois machines indépendantes, ne saurait être solide qu’à la condition d’absorber par son poids un « pour cent » très élevé du déplacement ;

3o  Parce que, ne pouvant compter que sur lui-même pour réparer une avarie de machine, il doit renfermer un atelier vaste, commode, bien outillé ;

4o  Parce qu’il faut pousser très loin, au risque d’augmenter le poids de la coque, l’emploi du système cellulaire, si l’on veut que les effets d’une avarie dans les œuvres vives soient aisément limités et que le navire ne se trouve pas dans l’obligation de passer au bassin de radoub après un échouage ou après un engagement qu’il n’aura pas pu éviter.

Acceptons donc pour le déplacement le chiffre de 12 000 tonnes qui est à peu près celui qu’on adopte en Angleterre, en Russie, aux États-Unis ; fixons à 24 nœuds bien nets, bien assurés, la vitesse maxima qui nous est imposée par celle que nos rivaux comptent atteindre. La puissance de la machine ne sera pas moindre de 30 000 chevaux, avec un poids de 2100 tonnes, le cheval-vapeur étant compté à 70 kilogrammes. Nous irons jusqu’à 3 000 tonnes pour l’approvisionnement en combustible (le quart du déplacement total), et nous