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combustibles utilisables par la marine. Les neutres ne se risqueront certes pas à entreprendre d’une manière régulière des opérations de ravitaillement qui les exposeraient à la capture.

En tout cas nous rencontrons ici un nouveau problème, celui de l’embarquement du charbon à la mer. Ce problème, ce n’est pas seulement pour la guerre de croisière qu’il s’impose ; il faut donc que nos ingénieurs et nos marins le résolvent sans tarder. Et combien cette tâche leur serait plus facile si, au lieu du charbon, il s’agissait du pétrole, du combustible liquide que l’on essayait avec succès dans notre marine nationale en 1864, il y a plus de trente ans. Mais là encore des intérêts particuliers sont venus se mettre à la traverse des intérêts généraux !

Revenons à notre ligne de communications. Quelque secret que reste leur départ, quelque prudente et détournée que soit leur route, les navires qui formeront les anneaux de cette chaîne pourront être interceptés par les croiseurs ennemis s’ils ne sont doués d’une grande vitesse. Il conviendrait par conséquent d’y employer les paquebots rapides de nos grandes compagnies de navigation.

Qu’on ne nous oppose pas que ces bâtimens sont déjà désignés pour recevoir un armement et servir en qualité de croiseurs auxiliaires. Ce rôle se concilie fort bien avec l’utilisation spéciale que nous avons en vue, et voici comment les choses se passeraient : toutes leurs soutes bondées de charbon, nos paquebots-ravi tailleurs feraient route, à la vitesse économique, vers le rendez-vous fixé. Ils céderaient au grand croiseur un millier de tonnes, gardant le nécessaire pour atteindre, aussitôt après, le port des Etats-Unis le plus voisin. Ils prendraient là de quoi revenir en France, ce que le neutre le plus scrupuleux ne peut leur refuser ; suivraient au retour une des routes de navigation les plus fréquentées et captureraient, chemin faisant ou aux atterrages, tout ce qu’ils rencontreraient de paquebots ennemis échappés à nos croiseurs. Cette combinaison nous offrirait, on le voit, l’avantage de compléter d’une manière rationnelle notre système de croisière.

Ce point admis, la régularité des opérations de ravitaillement ne dépend plus que des facultés de nos paquebots. Or il faut bien reconnaître qu’après l’avoir emporté quelques années dans la lutte pour la vitesse, nos grandes compagnies de navigation se laissent distancer aujourd’hui par leurs rivales d’Angleterre. Nos ravitailleurs risquent donc d’être atteints, non seulement par les croiseurs construits par l’Etat anglais en vertu du Naval defence act et du programme de 1894, mais encore par les nouveaux paquebots rapides devenus croiseurs auxiliaires. Si