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pourrions faire aux atterrages, et que tout paquebot qui se sera soustrait, au large, aux recherches de nos croiseurs, est assuré de rentrer au port sans courir de nouveaux risques ? — Non, certainement. Nous citerons à la fin de notre étude un moyen de tirer parti des bâtimens à grande vitesse empruntés aux escadres de combat pour l’exécution de raids brusques et rapides sur le littoral d’un adversaire européen. Des opérations de ce genre compléteront d’une manière efficace, malgré leur caractère accidentel, l’action de nos croisières lointaines.

Nous allons donc pousser au large, très loin au large, nos vrais croiseurs. Mais jusqu’où ? — A moins d’affecter un de ces bâtimens à chacune des routes maritimes parcourues par les paquebots, ce qui se traduirait par une charge budgétaire considérable, nous sommes conduits à profiter de ce que les diverses lignes de navigation convergent toutes vers certains points, les Sorlingues, par exemple, ou le canal de Saint-Georges, ou celui de Bahama. Ainsi, pour préciser, nous placerons un de nos croiseurs à une distance des côtes d’Europe telle qu’il puisse couper le faisceau Amérique du nord — canal Saint-Georges en vingt-quatre heures, à la vitesse économique de 14 nœuds, c’est-à-dire dans la région de l’Atlantique où le faisceau des routes s’épanouit sur une largeur de 330 milles environ.

Voilà donc un champ d’opérations bien déterminé. Mais convient-il que le croiseur s’y attache obstinément ? — La question est importante, par les conséquences qu’entraîne la solution que nous lui donnerons.

S’il s’agissait uniquement de faire des prises, il serait habile de s’éloigner de temps à autre, et d’encourager ainsi les paquebots blottis au fond des ports à se risquer sur leurs routes ordinaires, dussions-nous, à ce jeu, en laisser passer quelques-uns. Mais ne voit-on pas que ce serait compromettre le succès du système, dont l’objet essentiel est d’affamer l’ennemi ? Convaincre tous les paquebots que toute tentative de passage demeure inutile sera toujours le moyen le plus sûr d’atteindre le but final.

Que résulte-t-il de ceci ? — C’est que la poursuite logique de notre méthode de guerre exige la permanence des croisières sur les points choisis.

Examinons maintenant les conséquences de cette proposition, conséquences auxquelles nous faisions allusion tout à l’heure :

Au bout de quelque temps, l’adversaire aura reçu des renseignemens suffisans pour délimiter d’une manière assez nette les champs d’opérations de nos « preneurs de paquebots », et il fera, en connaissance de cause, tous ses efforts pour les détruire.