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jusqu’alors et aurait composé son existence à venir, s’il n’était pas précisément arrivé que sa volonté dût obéir à une de ces forces qui lui imposait maintenant l’acte suprême. « En somme, pourquoi regretter ce que j’ai fait hier ? Aurais-je pu m’empêcher de l’accomplir ? »

— C’était nécessaire, répéta-t-il avec une signification nouvelle, comme en se parlant à lui-même.

Et il assistait, lucide et attentif, au déroulement du peu de vie qu’il devait encore vivre.


IX

Lorsque sa mère et sa sœur l’eurent laissé seul, il demeura quelques instans encore dans son lit, par une répugnance physique à faire n’importe quoi. Il lui semblait que, pour se lever, il aurait besoin d’un effort énorme. Il lui semblait trop fatigant de quitter cette position horizontale où, dans une heure peut-être, il allait trouver le repos éternel. Et il pensa de nouveau au narcotique. « Fermer les yeux et attendre le sommeil ! » La virginale clarté de ce matin de mai, l’azur reflété dans les vitres, la bande de soleil qui s’allongeait sur le plancher, les voix et les rumeurs qui montaient de la rue, toutes ces vivantes apparences qui semblaient donner l’assaut au balcon pour pénétrer jusqu’à lui et pour le reconquérir, tout lui inspirait une sorte d’effroi mêlé de rancune. Et il revoyait en esprit l’image de sa mère en train d’ouvrir la fenêtre. Il revoyait aussi Camille au pied du lit ; il réentendait les paroles de l’une et de l’autre, toujours relatives au même homme. Sa mémoire conservait surtout une exclamation cruelle que sa mère avait proférée avec des lèvres débordantes d’amertume ; et il y associait la vision du visage paternel, ce visage où il avait cru découvrir, là-bas, sur la terrasse, dans la lumière violente que réverbérait la blancheur du mur, les indices de la maladie mortelle. Devant Camille et devant lui, sa mère avait dit avec emportement : « Si c’était vrai ! Plût au ciel que ce fût vrai ! » Voilà donc l’impression dernière que lui laissait dans le cœur, à la veille de disparaître du monde, la créature qui jadis avait été dans sa maison la source de toutes les tendresses !

Il eut un mouvement brusque d’énergie ; il se jeta à bas du lit, résolu définitivement à agir. « Avant le soir, ce sera fait. Où le ferai-je ? » Il songea aux chambres closes de Démétrius. Il n’avait point encore de plan arrêté ; mais il constata au fond de lui-même la certitude que, pendant les heures qui restaient à