à lui tomber sur le dos. L’écroulement serait inévitable. Son fils voulait-il donc être témoin de sa ruine ? ou ne voyait-il pas qu’en intervenant dans cette circonstance il travaillait pour son propre intérêt et défendait un héritage qui devait bientôt échoir à son frère et à lui-même ?
— Oh ! cela ne tardera guère ; cela arrivera d’un jour à l’autre, peut-être demain !
Et il se remit à parler de sa maladie incurable, du péril continuel qui le menaçait, des inquiétudes et des chagrins qui hâtaient pour lui l’heure de la mort.
À bout de forces, ne pouvant plus supporter cette voix et ce spectacle, retenu néanmoins par la pensée des autres bourreaux, de ceux qui l’avaient poussé de force en cet endroit et qui l’attendaient maintenant pour lui demander compte de sa démarche, George balbutia :
— Mais cet argent, est-il vrai que tu l’emploieras pour ce que tu dis ?
— Oh ! toi aussi, toi aussi ! s’écria le père qui, sous une apparente explosion de douleur, réprimait mal un de ses accès de violence. On t’a donc, répété, à toi aussi, ce qu’on va colportant partout et toujours : que je suis un monstre, que j’ai commis tous les crimes, que je suis capable de toutes les infamies ! Et tu l’as cru, toi aussi !… Mais pourquoi, pourquoi me haïssent-ils à ce point, là-bas, dans cette maison ? Pourquoi me souhaitent-ils la mort ? Oh ! tu ne sais pas combien ta mère me hait !… Si tu retournais près d’elle à cette heure et si tu lui racontais que tu m’as laissé agonisant, elle t’embrasserait et dirait : — Dieu soit béni ! — Oh ! tu ne sais pas…
Dans la brutalité de l’accent, dans l’ouverture de cette bouche qui donnait de l’aigreur aux mots, dans la respiration véhémente qui dilatait les narines, dans la rougeur irritée des yeux, l’homme vrai réapparaissait malgré lui ; et, contre cet homme, le fils eut un nouveau mouvement de l’aversion primitive, un mouvement si soudain et si impétueux que, sans réfléchir, par besoin d’apaiser son père et de s’en débarrasser, il l’interrompit pour lui dire d’une voix convulsive :
— Non, non ; je ne sais rien… Dis-moi, que dois-je faire ? Où dois-je signer ?…
Et il se leva, éperdu, s’approcha de la fenêtre, se retourna vers son père. Il le vit chercher quelque chose dans un tiroir, avec une sorte d’impatience haletante ; il le vit mettre sur la table une lettre de change encore vierge.
— Ici. Mets ta signature : cela suffira…