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— Qu’as-tu, Christine ? tu te trouves mal ? cria George en la soutenant, effrayé.

Mais la violence de la nausée lui étranglait la gorge ; elle ne pouvait pas répondre. D’un signe, elle donna à entendre qu’elle voulait s’éloigner des arbres ; et, soutenue par son frère, elle fit quelques pas incertains, tandis que Luc la regardait avec des yeux terrifiés. Puis elle s’arrêta, poussa un soupir et dit, d’une voix faible encore, en reprenant peu à peu ses couleurs :

— Ne t’effraie pas, George… Ce n’est rien. Je suis enceinte… L’odeur trop forte m’a fait mal… C’est passé maintenant ; je suis remise.

— Veux-tu rentrer à la maison ?

— Non, restons au jardin. Asseyons-nous.

Ils s’assirent sous la treille, sur un vieux banc de pierre. George, à l’aspect de l’enfant grave et absorbé, l’appela pour le secouer de sa torpeur.

— Luchino !

L’enfant inclina sa tête pesante sur les genoux de sa mère. Il avait la fragilité d’une tige de fleur ; il semblait avoir peine à porter sa tête sur son cou. Sa peau était si fine que toutes les veines y transparaissaient, déliées comme des fils de soie bleue. Ses cheveux étaient si blonds qu’ils étaient presque blancs. Ses yeux, doux et humides comme ceux d’un agneau, montraient leur pâle azur entre de longs cils clairs.

Sa mère le caressa, en serrant les lèvres pour retenir un sanglot. Mais deux larmes débordèrent et coulèrent sur ses joues.

— Oh, Christine !

L’accent affectueux du frère accrut l’émotion de la sœur. D’autres larmes débordèrent, coulèrent sur ses joues.

— Tu vois, George ! Je n’ai jamais rien demandé ; j’ai toujours accepté tout, je me suis toujours résignée à tout ; jamais je ne me suis plainte, jamais je ne me suis révoltée… Tu le sais bien, George. Mais cela encore, cela encore ! Oh ! ne pas même trouver dans mon fils un peu de consolation !…

Les pleurs tremblaient dans sa voix désolée.

— Oh, George ! tu vois, tu vois comment il est ! Il ne parle pas, il ne rit pas, il ne joue pas ; jamais il ne s’égaie, il ne fait jamais ce que font les autres enfans… Qu’a-t-il ? Je n’en sais rien. Et il me semble qu’il m’aime tant, qu’il m’adore ! Il ne se détache jamais de moi, jamais, jamais. J’en viens à croire qu’il ne vit que de mon haleine. Oh, George ! si je te racontais certaines journées, des journées longues, longues, qui n’en finissent pas… Je travaille près de la fenêtre ; je lève les yeux, et je rencontre ses yeux qui me regardent, qui me regardent… C’est une torture lente, un supplice