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de ces cierges et de cet horrible bruit de trompettes ; et cette imagination l’emplit de dégoût. Ensuite son attention se porta sur les gamins en guenilles qui s’évertuaient à recueillir les larmes de la cire, péniblement, le corps courbé, d’un pas inégal, les yeux tendus vers la flamme mobile.

— Malheureux don Defendente ! murmura la mère, en regardant le cortège qui s’éloignait.

Et aussitôt, comme si elle eût parlé pour elle-même, et non pour son fils, elle ajouta d’un air las :

— Malheureux ? Pourquoi ? Il entre dans la paix : et c’est nous qui restons à la peine.

George la regarda. Leurs yeux se rencontrèrent ; et elle lui sourit, mais d’un sourire si faible qu’il ne remua aucune ligne de son visage. Ce fut comme un voile très léger et à peine visible qui aurait passé sur ce visage toujours empreint de tristesse. Mais cette lueur imperceptible fit à George l’effet soudain d’une grande illumination ; il vit alors sur le visage maternel, il vit distinctement pour la première fois l’œuvre irrémédiable de la douleur.

Devant la révélation terrible qui lui venait de ce sourire, un flot impétueux de tendresse lui gonfla la poitrine. Sa mère, sa propre mère ne pouvait donc plus sourire que de cette façon, de cette seule façon ! Désormais les stigmates de la souffrance étaient indélébiles sur le cher visage qu’il avait vu se courber vers lui si souvent et avec tant de bonté, dans la maladie, dans le chagrin ! Sa mère, sa propre mère se consumait petit à petit, s’usait de jour en jour, s’inclinait lentement vers la tombe inévitable ! Et lui-même, tout à l’heure, pendant que sa mère exhalait sa détresse, ce qui tout à l’heure l’avait fait souffrir, c’était, non pas la douleur maternelle, mais la blessure faite à son égoïsme, le heurt que causait à ses nerfs malades l’expression crue de cette douleur !

— Oh ! mère !… balbutia-t-il, suffoqué par les larmes.

Et il lui prit la main, il la ramena dans la chambre.

— Qu’as-tu, George ? qu’as-tu, mon enfant ? demanda la mère effrayée, en lui voyant la face toute baignée de larmes. Qu’as-tu ? dis-le-moi.

Oh ! il la retrouvait, cette voix, cette voix chère, cette voix unique, inoubliable, qui lui touchait l’âme jusqu’au fond ; cette voix de consolation, de pardon, de bon conseil, d’infinie bonté, qu’il avait entendue aux jours les plus sombres ; il la retrouvait, il la retrouvait ! Il reconnaissait enfin, la tendre créature de jadis, l’adorée !

— Oh ! mère, mère…

Et il la serrait dans ses bras en sanglotant, en la mouillant de ses larmes brûlantes, en lui baisant les joues, les yeux, le front avec un transport éperdu.