une période de sensibilité suraiguë ; l’exaspération de tous ses nerfs le tenait dans un état d’inquiétude continuelle. Il paraissait ne plus croire au bonheur promis, à l’apaisement futur. Lorsque Hippolyte lui dit adieu, il demanda :
— Nous reverrons-nous ?
Lorsque, au moment de passer la porte, il lui donna sur la bouche le dernier baiser, il remarqua qu’elle abaissait sur ce baiser une voilette noire ; et ce petit fait insignifiant lui causa un trouble, prit pour son imagination l’importance d’un sinistre présage.
En arrivant à Guardiagrele, dans la ville natale, — dans la maison paternelle, — il était si exténué que, en embrassant sa mère, il se mit à pleurer comme un enfant. Mais ni cet embrassement ni ces larmes ne le réconfortèrent. Il lui sembla être un étranger dans sa propre demeure, visiter une famille qui n’était pas la sienne. Cette singulière sensation d’isolement que déjà, en d’autres circonstances, il avait éprouvée vis-à-vis de ses proches, se réveillait à cette heure, plus vive et plus importune. Mille petites particularités de la vie familiale l’irritaient, le blessaient. Pendant le déjeuner, pendant le dîner, certains silences où l’on n’entendait que le bruit des fourchettes lui causaient un malaise insupportable. Certaines délicatesses dont il avait l’habitude recevaient à chaque instant un heurt brusque, un choc cruel. L’air de discorde, d’hostilité, de guerre ouverte qui pesait sur cette demeure, lui coupait la respiration.
Le soir même de son arrivée, sa mère l’avait pris à part pour lui raconter tous ses chagrins, toutes ses afflictions, toutes ses détresses, pour lui raconter tous les désordres et tous les débordemens de son mari. D’une voix tremblante de colère, en le regardant avec des pleurs dans les yeux, elle lui avait dit :
— Ton père est un infâme !
Et elle avait les paupières un peu gonflées, rougies par de longues larmes ; elle avait les joues creusées ; elle portait sur toute sa personne les signes d’une souffrance endurée longtemps.
— C’est un infâme ! c’est un infâme !
Tandis qu’il remontait dans sa chambre, George gardait encore dans les oreilles le son de cette voix ; il revoyait l’attitude de sa mère ; il continuait à entendre les ignominieuses accusations contre l’homme dont le sang coulait dans ses veines. Et il avait le cœur si gros qu’il craignait de ne pouvoir pas le traîner plus loin. Mais, tout à coup, un élan brusque et furieux, faisant diversion, l’emporta violemment vers la maîtresse absente, et il s’aperçut qu’il ne savait pas bon gré à sa mère de lui avoir révélé tous ces maux, il sentit qu’il aurait mieux aimé ne pas savoir, ne