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M. Crispi reste au ministère ou qu’il y soit remplacé ? Ne savons-nous pas que la politique extérieure de l’Italie ne sera pas changée pour si peu ? Plus on y regarde de près, et plus on est frappé du manque absolu d’importance durable de tout ce qui vient de se passer au-delà des Alpes. Chez nous, lorsque la Chambre a été dissoute et que des élections générales ont eu lieu, un certain nombre de questions se sont trouvées définitivement tranchées : en Italie, chacun garde ses positions et les choses restent en l’état. On a eu raison de dire qu’il n’y avait rien de changé : il y a seulement une Chambre de plus.


En Autriche-Hongrie, au contraire, il y a eu quelque chose de changé. Le comte Kalnoky a donné sa démission, et il a été remplacé au ministère des affaires étrangères par le comte Goluchowski. C’est, croyons-nous, la première fois que ces hautes fonctions sont remplies par un Polonais, et il faut sans doute voir là un témoignage des progrès qu’a faits l’assimilation politique des diverses nationalités de l’Empire. Le comte Goluchowski a été, il n’y a pas longtemps encore, conseiller d’ambassade à Paris où il a laissé les meilleurs souvenirs. Sa nomination au ministère commun des affaires étrangères ne peut donc provoquer chez nous que beaucoup de sympathie. Mais au moment où le comte Kalnoky disparaît de l’horizon diplomatique, il convient de rendre hommage aux qualités qu’il a montrées pendant un ministère de douze années. Il a été sinon un grand, au moins un bon ministre. Inféodé par la force des choses à la triple alliance, il en a été le modérateur, et, plus justement que d’autres, il peut prétendre à en avoir fait un instrument de paix. Il a été sincèrement et profondément pacifique, reflétant d’ailleurs en cela, avec exactitude et fidélité, la pensée de l’empereur François-Joseph. L’Europe avait confiance en lui. Elle avait pris l’habitude de compter sur son bon sens, qu’elle n’avait jamais trouvé en défaut. Quant à l’Autriche elle-même, si nous jugeons sa politique danubienne et balkanique, depuis quelques années, avec une impartialité qui nous est plus facile qu’à d’autres, il nous semble que le comte Kalnoky l’a heureusement servie. Grâce à sa prudence et à sa dextérité, les conflits, toujours à craindre, ont toujours été évités : et cela sans bruit, sans étalage de force, ni même d’influence, par une action discrète et le plus souvent efficace. Il suffit de comparer la situation actuelle de l’Autriche en Orient à ce qu’elle était il y a douze ans pour reconnaître un progrès certain. Et ici nous n’apprécions pas ; nous nous bornons à constater.

Pourquoi donc le comte Kalnoky a-t-il donné sa démission, et pourquoi l’empereur l’a-t-il finalement acceptée ? C’est parce que, s’il a été assez habile pour éviter les conflits avec les puissances étrangères, il n’y a pas réussi au même degré avec la Hongrie et son gouvernement. Nous ne reviendrons pas sur les incidens soulevés par le