Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/720

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’orgueil humain s’est révolté contre une taxe portant sur des personnes parce qu’elles en servent d’autres. On a fait sur ce sujet quantité de mots d’esprit et de caricatures, ce qui montre à quel point le public s’y est intéressé. Et pourtant, nous serions tenté de prendre la défense de l’impôt sur les domestiques, s’il avait été présenté dans d’autres conditions. Il n’a rien de contraire aux principes sur lesquels repose notre système financier. Les domestiques sont incontestablement une des manifestations extérieures de la richesse, une des plus visibles, une des moins sujettes à inquisition. Mais ce signe est incertain et approximatif comme tous les autres ; il manque d’exactitude et de précision ; on ne peut l’accepter qu’avec un certain nombre d’atténuations nécessaires, et sous la double condition de le corriger par le concours de plusieurs autres, et d’établir sur lui une taxe très modérée. Les atténuations devraient surtout être faites au profit des familles nombreuses : avoir un enfant de plus oblige la plupart du temps à avoir aussi un domestique de plus et n’est cependant pas la preuve d’une augmentation de richesse. Lorsqu’il n’y a que de l’aisance, elle s’en trouve, au contraire, sensiblement diminuée. M. Burdeau, dans son projet de budget, avait introduit une taxe sur les domestiques, mais il avait eu soin de la rattacher au chiffre du loyer. La première taxe augmentait avec la seconde ; elle n’en était qu’un accessoire. Le prix du loyer est partout un des signes de la richesse : il était donc rationnel et légitime d’y rattacher la taxe sur les domestiques, tandis qu’il ne l’est pas de la rattacher au chiffre de la population de la ville habitée. Le fait d’habiter Paris ne dénote pas du tout une fortune plus grande que celui d’habiter Lyon, et on n’est pas plus riche parce qu’on habite Lyon que parce qu’on vit à Tulle ou à Guéret. Pourquoi donc faire progresser l’impôt suivant la population ? Plus on y songe, moins il est possible de se l’expliquer. Et c’est en cela que le projet du gouvernement nous paraît le plus difficilement défendable. Quelques-unes de ces critiques appelleraient peut-être des atténuations si on connaissait la réforme complète que M. Ribot se propose de faire et qu’il a annoncée sur l’impôt mobilier ; malheureusement on ne la connaît pas. Le gouvernement reste fidèle à la méthode qui consiste à présenter les réformes morceau par morceau, et à les peser en quelque sorte au compte-gouttes, suivant les besoins d’argent qu’il éprouve au jour le jour. C’est un mauvais système assurément, et la première impression produite par la nouvelle commission du budget l’a prouvé avec évidence.

Cette commission est inférieure, au moins au point de vue de la connaissance et de l’expérience des affaires, à toutes celles qui l’avaient précédée. Elle contient beaucoup de radicaux et au moins un socialiste. Aucun des hommes qui ont joué un rôle considérable dans la préparation et la discussion de nos anciens budgets n’en fait partie,