Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/676

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans le noir. Les Saintes Femmes au pied de la croix et Avant la grève, par M. Munkaczy, donnent un sentiment d’oppression pénible, tant l’air et la lumière y sont rares. L’oppression, devant l’Elisabeth Bathori de M. Czok, vient d’une autre cause. Si pervers que soit notre dilettantisme, nous avons peine à comprendre celui de cette princesse, blasée et féroce, qui, pour se distraire, fait amener des filles nues, l’hiver, sur la muge de sa cour, et les y regarde passer du rouge au bleu, du bleu au violet, du violet au livide, jusqu’à ce que mort s’ensuive, dans les rigidités d’une affreuse agonie. Chacun, il est vrai, prend son plaisir où il le trouve ; nous n’en trouvons aucun à contempler cette aristocratique sauvagerie, quelque talent, (et c’est un vrai talent) que l’auteur y dépense. Les portraitistes hongrois, Mme Parlaghy, M. Perlmutter, les peintres autrichiens, surtout, mondains ou anecdotiers, ne prennent point ces airs farouches, bien qu’ils usent et abusent volontiers, les uns du noir, les autres du jaunâtre. Les Pêcheurs d’Islande, par M. Marinitsch, sous le pont de la Marie, accoudés à boire, n’ont rien de particulièrement autrichien : c’est un bon tableau breton, en style réaliste, français et moderne. Les Allemands d’Allemagne campent surtout au Champ-de-Mars, où MM. Liebermann, Uhde, Kuehl, Klinger déposent, cette année, de simples cartes de visite.

En réalité, les hôtes les plus empressés et les plus communicatifs des deux salons, ce sont les Américains, au nombre de 125 et les Anglais, 80 environ. A peu d’exceptions près, les Américains viennent des Etats-Unis, presque tous élèves de maîtres parisiens, Carolus Duran, Henner, Bouguereau, Jules Lefebvre, Cormon, etc. Ils ne pourraient renier, en général, l’atelier dont ils sortent, tant ils en portent la marque, mais ils ajoutent souvent aux qualités des maîtres certaines qualités personnelles. Si M. Schannon, un remarquable portraitiste, comme Mme Lee-Robbins, procède de M. Carolus Duran, il y joint une particulière élégance, et une souplesse ferme des dessous qui en font un peintre à part. L’originalité de M. Alexander, qui tourne à l’excentricité par la contorsion maniérée de ses figures sous les jets d’étoffes en paraphes ; celle de M. Dannat, qui réduit ses improvisations espagnoles à des explosions fulgurantes de taches vives et criardes, mais parfois singulièrement expressives, en reprenant, dans ses portraits, sa forte manière, virile et savoureuse ; celle, dans le paysage, de M. Harrison, qui peuple maintenant ses marines de figures finement étudiées, s’accentuent encore cette année. M. Walter Gay, dans sa Fabrique de tabac de Séville, montre, plus que jamais, un sentiment vif et délicat de la lumière fraîche, de la jeunesse dans les visages, de la liberté dans les mouvemens. A côté