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l’orgueilleux Bourguignon et de ses compagnons ahuris. Néanmoins, c’est là une œuvre considérable, pleine de talent, très intéressante et d’autant plus estimable qu’elle représente, presque à elle seule, l’art historique au Champ-de-Mars. L’exactitude genevoise, avec un sentiment grave et profond de la beauté des perspectives alpestres, se retrouve dans les paysages de M. Baud-Bovy. Du côté de Zurich, on est plus sensible à la couleur, et l’on ne dédaigne pas les beaux coups de brosse, expressifs et lumineux ; c’est de Zurich que viennent deux excellentes portraitistes, Mlle Breslau et Mme Rœderstein.

Une cinquantaine de Belges affirment avec plus d’ensemble cet amour de la bonne peinture, grasse et forte, qui soutient et fait vivre leur école, depuis Leys et les Stevens. La Visite au malade, par M. Struys, d’Anvers, l’un des tableaux les plus admirés aux Champs-Elysées, pour la ferme tenue et l’intensité sérieuse de l’exécution, autant que pour la simplicité émouvante des expressions, nous montre, une fois de plus, en ce maître discret et rare, un des interprètes les plus sincères et les plus pénétrans des douleurs populaires. La Visite au malade est une digue suite du Gagne-Pain et du Mort, qui sont restés si profondément gravés dans nos souvenirs de 1889. Une autre étude plébéienne, le Fumoir à l’hospice des vieillards d’Anvers, par M. Diericks, procède du même esprit d’observation sain et vigoureux. C’est avec la même hardiesse robuste et une extraordinaire liberté de brosse que certains paysagistes belges traduisent les phénomènes lumineux les plus délicats et les plus compliqués, tels que la dispersion des rayons solaires sur des nappes de neige et de verglas, ou leur emprisonnement entre des murs de hautes maisons et des eaux de canaux étroits. MM. Baerlsoen et Willaert, tous deux de Gand, ont apporté sur ce sujet des séries d’études puissantes et instructives, parmi lesquelles le Matin de neige et le Seuil d’église de M. Baertsoen nous semblent mériter place à part. MM. Verstraete et Courtens sont aussi de la région gantoise et montrent le même caractère. A Bruxelles, si l’on s’en rapporte aux tâtonnemens philosophiques et allégoriques de M. Frédéric, un vrai et noble artiste dont nous avons souvent parlé, on affecterait quelque mépris pour le réalisme national et on se serait mis en quête d’un idéalisme symbolique et scientifique. Sous le titre de la Nature, M. Frédéric nous montre quatre enfans joufflus, arrivant tout droit de chez l’ami Botticelli, qui s’empêtrent dans des circonvolutions inextricables de végétaux, sous une pluie de fleurs et de feuilles, les génies des quatre saisons, probablement. Le dessin est incisif et expressif, le détail ingénieux et riche ; l’œuvre est curieuse et intéressante parce que M. Frédéric ne peut rien faire