Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 129.djvu/664

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’empêche la plus hâtive de ses esquisses de nous sauter joyeusement aux yeux, non seulement comme une chaude fusée de couleurs vives et douces, mais de nous jeter encore dans l’esprit, sur le caractère extérieur et intérieur de ses contemporains, des lumières plus certaines que ne fait tel ou tel crayon, telle ou telle gravure d’une exécution attentive et minutieuse, offrant toutes les garanties extérieures d’une honnête ressemblance. Cette sorte d’infidélité, qui est pratiquée, sciemment ou involontairement, par tous les artistes quelque peu personnels et bien doués, n’implique nullement de leur part l’absence de sincérité, bien au contraire ; c’est, aussi souvent, la preuve de leur spontanéité, de leur intelligence, de leur lucidité. S’ils ne montrent pas dans un visage tout ce que le premier venu peut y voir, ils en font jaillir autre chose de plus particulier et de mieux défini, quelque chose qui s’y trouve, mais qu’on n’avait point dégagé. Les peintres, dans une certaine mesure, ont donc le droit d’être infidèles ; on leur accorde moins facilement d’être flatteurs par cupidité ou traîtres par sottise.

Le profil pâle, noble, réfléchi de Mme F. D… par M. Henner, est-il d’une ressemblance matérielle qui satisferait un photographe ? Je n’en sais rien, je n’ai pas besoin de le savoir. Quand j’ai longuement, avec délices, savouré la douceur puissante de cette admirable enveloppe de peinture sous laquelle il se présente, la souplesse et la fermeté de ces carnations délicates, la décision tranquille de ces traits bien marqués sous une apparence fuyante, les nuances infinies et tendres par lesquelles ces deux taches uniques, le blanc du visage et le noir du chapeau et de la robe, s’associent pour exprimer, à la fois, un grand deuil et une grande résignation, je n’éprouve nul doute sur le caractère intime de la personne représentée. L’artiste a été au-delà de ce qu’on voit, il a exprimé ce qu’on ne voit pas ; il a fait une œuvre décisive et complète ; que demander de plus ? C’est par des portraits de cette valeur, déjà nombreux dans son œuvre, que M. Henner restera, dans l’avenir, un des représentans les plus inattaquables de notre école moderne.

L’interprétation de la réalité est moins hardie chez M. Paul Dubois, plus violente chez M. Bonnat, mais combien, chez ces deux maîtres encore, elle est personnelle et consciencieuse, pénétrante et intellectuelle, en même temps que caressante ou résolue ! Les scrupules, hésitations, repentirs qui agitent et font vivre un artiste inquiet de perfections ne quittent pas plus M. Paul Dubois quand il peint que lorsqu’il sculpte. Le beau portrait de Mme L. A…, n’a rien, dans son exécution savante et patiente, des virtuosités tapageuses par lesquelles tel ou tel de ses voisins attire